Montpellier : la non-violence n’échappe pas à la répression

Témoignage d’un interpellé du 15 septembre 2016, pendant le mouvement contre la loi "Travaille !" - appel à rassemblement de soutien pour procès le 15 mars 2017, devant le TGI, place Pierre Flote, arrêt de tram Plan Cabane, à 8h30.

Le 15 septembre 2016, un peu partout en France, les dernières manifestations contre la loi "Travaille !" parcouraient les rues comme un cortège funèbre. A Montpellier, la motivation est à la baisse. Quelques grafs sont faits, mais dans l’ensemble la manif’ est très calme. Suffisamment calme pour endormir la vigilance.

Moi, je profite de ce calme pour écrire quelques punchlines au marqueur. Je me suis masqué le visage pour la forme : j’ai mis un t-shirt jaune sur la tête, histoire de rajouter un peu de couleur. Je suis plus visible que jamais, mais je ne suis pas venu pour me cacher, et je ne crois pas que ce que je fais puisse me valoir d’être recherché. J’écris "Nous ne négocions pas avec ceux qui nous construisent" sur une palissade de chantier. Je me crois malin.

Plus tard, le groupe de fin de manif’ s’apprête à tenir une Assemblée Générale sur le parvis du TGI, sous les yeux moqueurs de la BAC. Alors qu’on s’apprête à démarrer, des cris retentissent du Peyrou au-dessus. Des contrôles de sacs tournent mal, y paraît. On se lève, on y va. Le groupe s’étire, les plus motivéEs courant devant pendant que d’autres traînent la patte. Algarade au Peyrou, ça gaze un peu, ça matraque pas mal, ça disperse beaucoup. 3 copainEs sont attrapéEs. Un groupe encore au TGI, un groupe aux Arceaux, moi au milieu qui fais la navette. A deux reprises on me dit que l’on a entendu mon signalement au talkie des flics. Je comprends pas trop pourquoi, mais me dit qu’il serait sage de me tirer. Je pars avec une amie, en direction de Plan Cabanes.

J’ai étudié, et j’ai vu. J’ai compris que l’on vit dans un monde où les riches sont de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus nombreux.

On marche. Une camionnette de la Nationale s’arrête à notre niveau. 4 policierEs en jaillissent et courent directement sur moi. Panique. Une demi-seconde de réflexion, et je m’élance. Je ne crois pas être le seul à avoir peur quand la police me fonce dessus, surtout lorsqu’elle ne prend pas la peine d’effectuer les sommations réglementaires. Comme le dit un slogan sorti récemment, "Théo et Adama te rappellent pourquoi Zyed et Bouna couraient". Je cours. Après un court moment, un flic en scooter se porte à ma hauteur, et l’on me somme, pour la première fois, de m’arrêter. J’obéis. Je suis abasourdi. J’ai l’impression d’avoir 3 étoiles à GTA : 2 véhicules de police passent à côté de moi, avant que l’on m’embarque dans un troisième. "Mais qu’est-ce que j’ai fait ?" je me souviens avoir crié au moment de mon interpellation.

1 minute d’adrénaline, l’impression d’être un criminel recherché. Pourtant, je ne suis pas un criminel. Je ne suis pas violent, pour la bonne raison que je n’ai jamais appris à l’être. Je ne sais pas me battre, car je ne me suis jamais battu. Mon parcours a été l’itinéraire du bon élève : mention au bac, classes prépa, grande école, doctorat. Depuis le 13/12, je suis docteur de l’Université de Montpellier, spécialiste en génétique évolutive. Je suis l’intellectuel de gauche, comme il en existe 100 000. Je suis un scientifique : mon boulot, c’est de comprendre et d’expliquer le monde.

J’ai étudié, et j’ai vu. J’ai compris que l’on vit dans un monde où les riches sont de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus nombreux. J’ai compris que la recherche du profit a maintenant plus de valeur que la raison, l’amour, la solidarité, la bienveillance. J’ai compris que des riches paient d’autres riches pour expliquer aux classes moyennes qu’il faut blâmer les pauvres, assistés nationaux ou immigrés illégaux. J’ai compris que de l’injustice naît la frustration, que la frustration est le terreau de la colère, et que la colère mène à la guerre. Cette colère, je la ressens comme des millions d’autres personnes. J’ai choisi une expression non-violente de cette colère, j’ai été réprimé.

J’ai compris que des riches paient d’autres riches pour expliquer aux classes moyennes qu’il faut blâmer les pauvres, assistés nationaux ou immigrés illégaux.

Face à un acte aussi bénin qu’écrire au marqueur sur une palissade de chantier, l’exécutif a fait le choix d’une répression démesurée. Une demi-douzaine de fonctionnaires de polices mobiliséEs, plusieurs véhicules, 21h de garde-à-vue (illégale, puisque dissimulation du visage et dégradation légère ne sont pas passibles d’emprisonnement !). Et 6 mois plus tard, je suis poursuivi pour dissimulation du visage en manifestation et dégradation de matériel d’utilité publique. La disproportion des moyens mis en oeuvre indique clairement que ce n’est pas un acte illégal qui est poursuivi, mais bien ma personne, mon engagement politique, mes idées.

Dans un contexte où de plus en plus de liberté d’action est laissée à la police, et où la justice a tendance à condamner gravement des actes politiques (des personnes sabotent des tourniquets de métro, elles sont poursuivies pour association de malfaiteurs ; un lancer de ballon de peinture peut valoir du sursis et plusieurs centaines d’euros), cela pose la question d’une dérive autoritaire des institutions censées maintenir l’ordre. Cela pose de graves questions en termes de liberté d’expression et de liberté d’opinion. Le verdict du juge sera politique. Il nous indiquera s’il y a encore la place pour une contestation non violente sans concession en France.

Pour défendre la liberté d’opinion politique, pour montrer au juge que je ne suis pas seul à être inquiet sur la situation démocratique de notre pays, pour rappeler au tribunal que nous serons attentifs au verdict qui sera rendu, nous organisons un rassemblement de soutien devant le TGI, à 8h30 le mercredi 15 mars.

Venez nombreuses et nombreux, ensemble luttons contre la criminalisation de la contestation sociale.

F.

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