Jeudi noir à Odysseum Montpellier

Témoignage d’une agression par le service de sécurité d’un grand centre commercial à Montpellier. Violences, séquestration, insultes, la guerre contre les pauvres et autres précaires bat son plein. Les événements se déroulent la semaine du 6 février 2017.

Le texte qui suit a été écrit à chaud. Les raisons qui m’ont poussées à témoigner sont politiques, et entrent dans le processus de dénonciation et de mise à jour d’une répression toujours plus présente, et qui daurénavant s’étant à de plus en plus (voire toutes) de sphères sociétales. Il n’est en aucun cas question ici de porter un jugement moral ou une analyse. Quoique mes propos soient orientés, ils sont la réaction due à une agression, vécue comme telle pendant et après son déroulement.

Vous allez lire une suite de faits. Paroles et actes. Ces paroles et ces actes ne reflètent peut-être pas la/les réactions appropriées, ni même ce que je pourrais penser à en débattre autour d’une table entre copainEs. Seulement voilà ce que j’ai dit et fait sous pression.

Ecrit d’un jet, sans retouche, pour éviter de répéter cette histoire à tout le monde, mais pour la partager quand même, ne pas la taire. Ne pas répéter pour ne pas diluer ma colère dans le dialogue, ne pas la distiller aux copainEs par petits morceaux, quand je voudrais la garder entière, acérée, foudroyante, et la balancer comme une lame acide aux visages des organes de répressions partout enfouis. Et surtout aux visages de ceLLeux qui s’en font le bras.

C’est le milieu de l’après midi. Je sors de l’atelier du squat ou je bricole depuis quelques heures. Envie de prendre l’air, et puis il me manque deux trois conneries dificile à récup’. Je taxe la carte de transport d’un copain, saute dans mon sac à dos à double fond, et file prendre le tram jusqu’au temple de la religion consumériste, j’ai nommé le centre commercial.

Pendant, le trajet je me rends compte que mon passeport est dans mon sac, erreur de débutant. Passent quelques pistes abstract ambient dans les écouteurs, et me voici devant le grand arche qui mène aux délices éthérés des grands magasins.

Je connais le protocole, alors j’y vais sereinement. Je prends deux ou trois respirations consciente genre tao pour être en phase avec la réalité foireuse qui m’entoure, et je pénètre dans un magasin aux odeurs entremélés de tout ce qui rappelle la nature à notre civilisation urbaine élevée hors sol. Je viens chercher de petites fioles d’huiles essentielles en pagaille, pour mes alchimies diletantes de druide en herbe. Je lance un bonjour avenant et gratifie le caissier d’un sourire (le sourire est sincère, quoiqu’utile).

Au fond de l’echoppe remplie d’une petite bourgeoisie morne en quête de fragrances nouvelles, plethor de flacons. J’en glisse discrètement un premier dans ma manche (ylang-ylang, la fleur des fleur hmmm). Je sens un regard sur moi. Légerement en retrait, un jeune homme me regarde. Pour sur il m’a vu. Qu’à cela ne tienne, je lui fait un petit clin d’oeil et dérobe un autre flacon devant lui.

Coup d’oeil aux caméra, détour par les angles morts. A deux mètres de la sortie j’attend que la dernière vendeuse se détourne et je file par la porte coulissante. Pas d’alarme, mais je le savais.

Prochaine étape, un magasin de sport, il me faudrait des accessoires pour apprendre le roller sans crever au premier virage raté. Un petit regard en arrière pour s’assurer que je suis bien le ninja que je pense être devenu avec le temps. Merde, un des vendeur est sorti et regarde clairement dans ma direction, il faut que je me tire d’ici. Je me trouve dans l’allée centrale du centre commercial, et pas dans la direction de l’entrée que j’ai prise en arrivant.

Comme vous vous en doutez, je ne viens pas souvent et ne connais pas si bien la géographie de la zone. Reflexe, je bifurque à droite sans plus me retourner. A cinquante mètres de moi, un parking. Qui dis parking dis sortie. C’est partie. Je n’ai pas beaucoup de temps. Impossible de trouver la sortie à vue. Panique. Parnoïa. Je file jusqu’à la grille qui sépare la gande aire pleine de bagnoles des cinq mètres de vide et de la ligne de tram en contrebas. Pas d’issu.

Demi-tour, il faut que je passe à nouveau par l’allée centrale.

– Monsieur, restez ou vous êtes !

A dix mètres sur ma droite, derrière des voirures rangées, un agent de la sécurité incendie (vous savez, ceux en rouge, qu’on dirait des gentils pompiers) est en train de fondre sur moi. Un regard, je dois filer. J’avance dans la direction opposée. Face à moi, deux autres, tout aussi charpentés que le premier. A gauche et derrière moi, le vide de cinq mètre. Ok, la confrontation est imminente, mais j’ai bien appris ma leçon. J’avance d’un pas déterminé sur les deux lascars en leurs disant bien haut :

– Vous n’avez pas le droit de me toucher !

Ils vitupèrent quelques conneries que je n’écoute pas.

– Si vous tentez de me retenir physiquement, c’est une séquestration, passible de sept ans de prison. Vous n’avez pas le droit de me toucher.
– Et toi t’as le droit de voler ?

Merde, sont pas receptifs, encore moins impréssionables. Tant pis. Je tente de passer au travers des deux premiers qui m’attrapent aussitôt par le bras. Je leurs répète inlassablement mon discours de légiste, mais ils n’y comprennent rien. Plus j’essaie d’avancer, plus ça les rends hargneux.

Attention à ne pas laisser de traces, vous allez avoir des problèmes ! Je les enerve volontairment, mais c’est le jeu de leurs faire perdre leurs sang froid, et je me dis qu’ils s’en mordront les doigts et me laisseront partir. Je suis un peu naïf. Un autre « tu me touches pas » et le troisième (que j’avais un peu oublié) m’attrappe par derrière. Un des deux autre me pousse. Au sol. Je m’étale comme un tronc sur le bitume dégueulasse et le dernier de ces galants jeunes hommes s’assoit sur mes hanches, mes bras au milieu. Bloqué.

– Oh mais vous etes des cinglés, vous allez avoir des sèrieux problèmes. Vous n’avez pas le droit de me touchez. Et maintenant vous me maintenez au sol !!!!

Ce connard regarde ses colègue en se marrant. Il y’en a trois nouveaux qui débarquent. Ok la je suis un peu fait. Voyons jusqu’ou ça va me mener. Il appui de tout son poids mon visage contre l’asphalte. J’ai connu mieux.

– Il se prend pour qui l’avocat, c’est alerte attentat, on a tous les droits !
– Regarde le il a de la coke plein le nez (j’aimerais bien si j’avais du fric raclure !).

Je hurle encore une ou deux minutes, je ne veux pas lacher le morceau. Je hèle les voitures qui sortent du centre, je cris à la séquestration, au témoignage, bref à la logique citoyèniste vomitive à laquelle je ne crois plus. Mais c’est un peu ma dernière carte que j’abas. Personne ne s’arrête. Les gens mattent pour sur. Le cinoche en sortie de shopping, elle est pas belle la vie ?

Ils sont maintenant une bonne douzaine, dont une sorte de capo qui à l’honneur suprème de porter une casaque noir. Il est plus courtois. Plus vicieux aussi. Aux premieres paroles qui suintent de sa bouche, je reconnais le plaisir contenu et la jouissance du pouvoir sur l’autre.

– Allons monsieur, c’est finis maintenant. Alors vous vous relevez, et vous nous suivez.
– Et t’es qui toi ? T’es juge, t’es Dieu ? T’as pas plus de pouvoir que tes larbins...

Je prends une claque dans la gueule par le bas-du-front qui me tient au sol. Sans bras on se protège dificilement.

– Tu crois que t’as le droit de voler ?

Ok, donc ils peuvent aller loin. Et sous les yeux de celui qui assoit son médiocre pouvoir de capo derrière un peu plus de graisse aux hanches que ses sous-fifres.
Ils me relèvent par les épaules et me ceinturent. Un des nouveaux s’approche. Il n’a pas encore perdu le sang froid qui manque à présent à ses colègues.

– Monsieur, je vais vous demander de nous suivre dans le calme.
Le rôle du gentil flic...
– Et bah voilà, c’est pas compliqué de s’adresser au gens poliment. Par contre il faut que tes petits amis arrêtent de me contraindre. En fait c’est de la séquestration...

Bref le discours légaliste, entrecoupé de leurs interuptions concernant la gravité morale du vol à l’étalage....

On prend les escaliers, ils me guident à présent sans me toucher, mais pour autant je ne peux pas faire grand chose à part les suivre. L’escalier débouche sur un autre parking gigantesque, laid et puand le gaz d’échapement. J’ai pas envie. Je ralentie. On me pousse. Un première fois je renàcle. Une deuxième fois je tombe. On me relève. Personne dans ce parking. Je tombe à nouveaux. Cette fois ils me saisissent par les jambes, par les bras, je leurs hurle dessus. Et une dernière crapule vient me serrer pile entre mes jambes avec sa main ganté, en me disant plus doucement que les autres « maintenant tu vas la fermer, et tu arrêtes de tomber comme une merde ! ».

– Lache moi !

Et d’autres jurons encore, je tente d’interpeler les quelques familles au fond du parking qui se dirigent vers les magasins... comme si j’y croyais.

On entre dans un sasse, au passage je me cogne la tête contre un coin de mur. Lumière blafarde de néon. Ce n’est pas la fin du voyage. Deux dans le réduit avec moi. Plus calmes. Parce que réalisant qu’ils sont en train d’aller trop loin.

– Bon, la tu commence à vraiment enerver les colègues (son collier de barbe et son front rétrognate lui donnent vraiment un air de crétin). Alors tu vas nous suivre sans faire d’histoire.
– Ok, mais vous devez bien prendre conscience que j’ai l’intention de déposer une plainte a l’encontre de vos colègues, alors si vous voulez en profiter pour me tabasser dans ce petit endroit à l’abri des regards, allez-y.

Je lui ai parlé d’une toute autre manière. Avec un sang froid qui m’étonne moi même. Maintenant il sait que je maîtrise le sujet plus que lui. Il sort dire un mot aux quelques singes qui attendent devant.

Le reste du trajet se fait silencieux. Puis :

– Tu vois, c’est ça qu’ils font les parasites, tu les engraisse aux allocs’ et après ils viennent jouer les avocats et t’apprendre ton boulot. Ah elle est belle la France.
– Si tu pouvais m’épargner tes analyses politiques, je m’en plaindrais pas.
– C’est pas à toi que je parle.
– Ouais bah parle moins fort ou mets toi à la poésie parce que j’entends tout.
– Bah quoi. Oui j’aime mon pays...
Silence.

La suite on la connais tous. Les couloirs trop éclairés, le réduit blanc avec le néon qui grésille sa triste vie au dessus d’un carrelage de style cantine. Et la procédure.

– Vide ton sac.
– Vous n’avez pas le droit de l’éxiger, vous devez me le demander.

Je m’éxécute.

– Ton passeport
– Ton passeport s’il vous plait monsieur.

Ils ont mes papiers. Je m’en fous. Une plainte et de la paperasse pour 30 balles de produits frelatés dans une franchise d’un groupe plein aux as... je suis presque content de leurs faire perdre un peu plus de leurs temps sur terre déjà gaché.

Je range mes affaires, ils en laissent un a l’entrée du réduit. Tiens je le connais pas celui là. Je me pose contre le mur et fixe les trous dans la cloison d’en face. Y’en à des plus coriaces que moi aparement.

– Alors l’avocat, tu parles plus ?
– Je connais mes droits, je connais la procédure, j’ai rien à dire.
– Et voler c’est un droit ? Tu les connais bien tes droits on dirait ?
– En fait si je connais mes droits, c’est pour éviter que ceux qui pensent en avoir un peu plus que moi en abusent à tort. Et croyez moi, c’est souvent le cas.
– En fait, en alerte attentat, on a tous les droits... enfin presque.
Tiens c’est un autre qui vient de parler. Il a glisser un petit eoil porcin dans la cellule pour être bien sur que je mette un visage sur sa connerie. Il est rougeaud. Il doit avoir honte sans le savoir.

J’aimerais que cette histoire s’arrête là, après que la gérante du magasin, scandalisée, soit venue m’informer que, ne disposant pas de moyen de paiement (et oui j’ai pas les allocs’), je ferais l’objet d’une plainte déposée au commissariat.

Seulement un petit malin parle trop fort dans le couloir.
Nous sommes jeudi. Lundi soir, quatre policiers ont violés un dénommé Théo avec leur matraque à Alnay-sous-bois. Forcment c’est dans l’actu.

– Non mais le gars il vole et il se victimise, hashtag Théo.

...

Il a vraiment dit ça ?!

– Ca vous fait rire le viol ?
Il entre, me regarde et ne se dégonfle pas.
– Bah quoi, t’as plus d’humour maintenant ? Tu me parles de droits... c’est un droit l’humour non ? Ouais ça me fais rire... j’aurais du dire, hashtag l’anus de théo...

Je ne peux pas telement dire dans quel état cela me met. Je viens de perdre une fois de plus tout espoir en une quelconque humanité. Ma réaction est lapidaire et froide. Mon ton de parole une ligne d’acier dépourvu d’émotion, comme en choc post traumatique.

– Donc le viol, ça vous fait rire.
– Je te dis..
– Donc le viol, ca vous fais rire.
Il se casse.
– Donc le viol ca vous fait rire !
Son collègue me demande de la fermer.
– Donc le viol, ça vous fais rire.

Donc le viol, ça les fait rire.

Je repars sans leurs adresser la parole. Je regarde droit devant moi la marche du monde qui s’amorce lorsque je passe les portes. Le monde, lui, n’a pas l’air d’avoir changer. Je ne me retourne pas. De toute façon, depuis longtemps je ne me retourne plus.

Evidemment je ne porterais pas plainte, evidement cette histoire n’a aucune suite si ce n’est les conséquences psychologiques à venir d’une agression perpétuée en toute impunité.
Evidemment un seul mot d’ordre.

Qu’iELls crèvent.

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