Sur la fermeture du Caomie de Monoblet

Le centre d’accueil et d’orientation qui accueillait de jeunes mineurs en provenance de Calais dans la commune de Monoblet dans les Cévennes vient de fermer officiellement ses portes au 31 janvier. Les jeunes afghans qui y résidaient sont en train d’être transférés à la hâte un peu partout sur le territoire.

Voici un article posant quelques questionnements, critiques et perspectives sur cette situation.

Du temps est passé aux Amariniers

Ils étaient 29 à avoir été débarqués depuis la jungle de Calais jusque dans le centre des Amariniers près de Monoblet en pleine nuit de novembre (voir article ici). En montant dans le bus dont la destination leur était inconnue, on leur avait promis l’Angleterre, qu’ils ne resteraient dans les Cévennes pas plus de cinq jours…

Du temps est passé pourtant, trois mois exactement, le temps imparti par les préfectures aux travailleurs sociaux pour régulariser la situation administrative de chacun. Trois mois pendant lesquels les espoirs auront côtoyé les désillusions, les angoisses auront ponctué les moments de joie.

Au final, rien de bien surprenant ne s’est produit. Les demandes de rapprochement familial auront pour la plupart été refusées ; seules trois réponses positives à ce jour ont été accordées ; les jeunes « reconnus » majeurs [1] ont été basculés en Cao pour adultes, les jeunes « reconnus » mineurs ont été transférés parmi les services de l’aide sociale à l’enfance. Certains auront préféré tenter par eux même le rêve qu’ils ont compris irréalisable restant pris dans les rouages de l’administration. Ils ont ainsi déserté le centre pour rejoindre les côtes du nord de la France, ou d’autres endroits semblant plus propices à leur avenir.

Dessins réalisés pendant un atelier d’écriture le 30/01 - 3.9 Mo
Dessins réalisés pendant un atelier d’écriture le 30/01

Ainsi, au fil des semaines, leur volonté de rejoindre l’Angleterre s’est peu à peu réduite à demander l’asile en France, et à celle de pouvoir rester ensemble, de ne pas quitter ceux avec qui ils formaient un groupe soudé. Puis du jour au lendemain, on leur a dit qu’il fallait à nouveau partir, et pour certains, seuls. On leur a annoncé leur nouvelle destination cette fois, trois jours avant le départ, mais la plupart ne savaient pas de quoi il s’agissait en partant dans la voiture accompagnés des travailleurs sociaux. Leurs questions restent en suspens, certaines des nôtres aussi…

Fermeture du centre et transfert en urgence des jeunes afghans

Au 31 janvier, la préfecture impose la fermeture du centre, la décision est annoncée une semaine à l’avance. Cette date correspond d’ailleurs à la date de fin de contrat du personnel embauché pour l’occasion. Pas de renouvellement et pas de charges salariales supplémentaires à débourser, on plie les affaires à la hâte.

Pour les mineurs c’est un placement en foyer ordonné par le procureur de la république dans les centres de l’aide sociale à l’enfance. Un petit groupe est parti le 30 janvier sur Nîmes. Ils passeront leurs premières nuits dans un hôtel mis habituellement à disposition par le 115, deux d’entre eux dorment à ce jour dans le même lit. D’autres gamins d’à peine 16 ans, parlant à peine quelques mots de français ou d’anglais, sont affectés seuls près de villes comme Toulouse, Montpellier ou en région parisienne. L’un d’entre eux sera séparé de son cousin avec qui il faisait la route depuis leur départ d’Afghanistan. Celui-ci, soumis au régime des majeurs est affecté dans un village situé à une cinquantaine de kilomètres de distance. Certains attendent encore leur affectation et demeurent au centre, malgré une fermeture déjà imposée…

Leurs interrogations quant à leur avenir proche restent entières. Où vont-ils aller ? Auront-ils accès à internet pour communiquer avec leur famille ? Y aura t-il des cours de français ? Pourront-ils suivre la formation de leur choix ? Combien de temps vont-ils rester là-bas et que ce passera t-il à leur majorité ? Tout cela sera découvert, plus tard… L’accueil des mineurs isolés étrangers relève de la compétence des conseils départementaux. Ces services sont généralement en manque de moyens et surchargés. Dans des départements comme le Nord-Pas de Calais, l’île de France ou les Bouches du Rhône, les enfants ne sont pas tous pris en charge et doivent eux-même trouver une solution pour ne pas dormir à la rue. C’est dire l’accueil qu’ils vont y trouver. Pour rappel, Denko Sissoko, un jeune Ivoirien placé dans un de ces foyers près de Reims s’y est défenestré début janvier, ses camarades écrivent alors un courrier à la responsable du service en charge au Conseil départemental et décrivent la situation déplorable à laquelle ils sont confrontés (voir ici puis ).

Dessins réalisés pendant un atelier d’écriture le 30/01 - 4.1 Mo
Dessins réalisés pendant un atelier d’écriture le 30/01

Pour les majeurs, ils continueront d’être pris en charge au sein d’un dispositif Cao pour adultes. Ils iront donc soit rejoindre le centre du Vigan déjà en place, soit iront dans des appartements utilisés pour les demandeurs d’asile à Lasalle. Là aussi, quelles seront leur possibilité d’entamer une intégration dans la vie sociale, sachant qu’il n’y aura aucune formation à leur proposer sur place (à Lasalle en tout cas), que la durée de leur accueil sera déterminée en fonction de l’avancement de leur demande d’asile, et qu’à cette issue on leur demandera encore une fois de partir ? Et comme dans de nombreux départements en France, et malgré les promesses faites par le ministre de l’intérieur au départ de Calais de ne pas appliquer le règlement Dublin III, ils risqueront d’être expulsés dans le premier pays d’Europe où leurs empreintes auront été prises, le préfet du Gard appliquant à priori cette mesure. Leur avenir en France peut donc être de courte durée et comprend encore de nombreuses incertitudes.

Une mesure de « protection » des mineurs ?

On nous parlait il y a quelques mois lors du démantèlement de Calais d’une opération de « mise à l’abri » des jeunes mineurs. On nous disait qu’ils ne pouvaient pas rester là-bas, continuer à vivre dans des conditions jugées inhumaines. Non, en effet ils ne pouvaient pas, ou plutôt ils n’ont pas pu. Ils sont partis non par choix, mais bien parce qu’on les a délogés, puis placés dans des bus. Et si les forces de l’ordre n’étaient pas encore sur place pour empêcher leur retour, une nouvelle jungle serait d’ores et déjà reconstruite. Et si les conditions étaient déplorables, à qui en attribuer la responsabilité ?

Nous nous questionnons dès lors sur l’hypocrisie portée d’une part par l’état, mais également par les associations qui ont géré pour son compte ce dispositif, et relayé ce discours. D’un côté on met en place ou cautionne un système engendrant de la violence, tant physique que morale, de l’autre, on fait semblant d’y remédier par des annonces et des mesures de type sécuritaire.

Quelles étaient donc les « responsabilités élargies » (voir ici) qui étaient sensées accompagner ces mineurs à leur arrivée dans le centre de Monoblet, si ce n’est d’assurer un rôle de gardiennage en filtrant les entrées ? Cette protection s’est à nos yeux concrétisée par la fermeture d’un portail à l’entrée du centre, un registre notant les entrées et sorties, et la soumission à une autorité décidant de ce qu’il était possible de faire ou non dans le centre [2]. De nombreuses initiatives ont été ainsi découragées [3] et cela a contribué à l’isolement des jeunes qui étaient pourtant demandeurs de visites et de sorties.

Dessins réalisés pendant un atelier d’écriture le 30/01 - 4 Mo
Dessins réalisés pendant un atelier d’écriture le 30/01

Nous n’avons par contre vu aucun accompagnement psychologique, aucune personne à même d’écouter leurs récits, autre que pour s’en servir administrativement. Ainsi, les meilleurs volontés des travailleurs sociaux pouvaient-elles dépasser les cadres imposés par l’administration ? Se sont-ils opposés à des mesures qui ne peuvent être que révoltantes ? Ces jeunes sont restés dans l’attente et l’incertitude pendant ces trois mois, pour finalement être séparés puis livrés à eux même, alors qu’ils avaient pris pour habitude depuis Calais de fonctionner en groupe. Arrivés à la hâte, repartis à la hâte, une situation de protection idéale ? Et pour ceux qui sont repartis et errent quelque part sur les routes d’Europe, de quelle manière sont-ils protégés, qui s’occupe d’eux maintenant ? Qui parlait de « responsabilités élargies » ? Un coup de fil à la préfecture signalant leurs départs suffit-il à se dédouaner du problème ?

Et maintenant ?

Le service fourni par l’état via son prestataire mandaté s’est donc limité à fournir un toit, deux repas par jour, et de faire rentrer des individus dans le cadre administratif qu’on leur a prévu. Pour le reste (cours de français, habits, chaussures, dictionnaires…), ce fut à la population des villages alentours d’en prendre la charge, permettant au passage de faire quelques économies de budget.

Nous le constatons encore une fois, le poids de l’institution a étouffé des volontés de s’en sortir, et bien d’autres possibilités de s’organiser. Aucun choix n’a été laissé aux jeunes afghans, si ce n’est celui de continuer leur chemin seuls. L’unique demande qu’ils avaient formulé était de rester ensemble, au moins par petits groupes, qu’a t-il été fait dans ce sens ?

Mais le centre doit fermer maintenant, et la question du suivi, de l’accompagnement et du devenir des personnes se pose toujours. Une initiative de création d’un comité de suivi est en cours (voir ici) et des contacts ont été gardés de manière informelle. Continuer le soutien hors des cadres institutionnels ou gestionnaires, maintenir les liens qui ont été créés, sont une manière de briser la séparation, le tri et l’isolement, de développer des solidarités face à un système qui écrase les individus.

Notes

[1Depuis le démantèlement de Calais, plusieurs entretiens ont permis de définir la majorité des individus concernés, prouvant ainsi le sérieux de la démarche. Le premier fut effectué dans un hangar à Calais, lors d’un entretien de quelques minutes, ou la majorité fut déterminée par une méthode de reconnaissance au faciès. Le second fut réalisé par les agents du Home Office en une journée au centre grâce à une série de question. Le troisième, nettement plus élaboré, fut réalisé par les services du département et a consisté en un entretien individuel sans traducteur, la demande de pièces justificatives aux familles, et la réalisation de tests osseux, méthode permettant de déterminer l’âge d’une personne de manière fiable, à un an et demi près…

[2Ceci n’est pas sans nous rappeler le fonctionnement ayant cours dans tout lieu de privation de liberté et la tendance qui lie de plus en plus accompagnement et coercition. Les nouveaux dispositifs Prahda (Programme d’Accueil et d’Hébergement des Demandeurs d’Asile) visant le public des Cao l’illustre parfaitement en ajoutant une mission de « préparation du transfert des personnes sous procédure Dublin et suivi, le cas échéant, des personnes assignées à résidence dans ce cadre ».

[3Des sorties escalades se sont par exemple vues déprogrammées au dernier moment, des sorties en ville n’ont pu avoir lieu, pour des motifs de protection ou de sécurité. Pour des gamins ayant traversé la moitié de l’Europe seuls ou ayant tenté chaque soir de grimper dans des camions sur une autoroute, cela prêterait presque à sourire…

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