Bernard Friot et le salaire socialisé

Texte écrit par des militantEs libertaires de montpellier. Les auteurEs reprennent l’analyse faite lors du débat "De quoi le citoyennisme est-il le nom ?". Illes se sont fixéEs comme but de mener une critique du salaire socialisé d’un point de vue anarcho-communiste. Il s’agit de savoir s’il faut "socialiser le salariat ou l’abolir."

Bernard Friot est un économiste et sociologue, enseignant à Paris X, proche du Front de Gauche.

Nous allons parler ici de la théorie de Friot du Salaire Socialisé. Tout commence bien : il fait une critique du discours patronal sur les retraites. Il explique que la hausse de la durée de travail et du départ à la retraite n’est pas inéluctable, ce avec quoi on ne peut qu’être d’accord… Ensuite, il explique que les cotisations sociales font partie intégrante du salaire, ce qui est son point de départ.

Salaire indirect ou salaire socialisé ?

En effet, les cotisations salariales s’élèvent à 23% du salaire brut, alors que les cotisations patronales représentent environ 50% du salaire. Si elles ne vont pas directement dans la poche du salarié, elles font partie du salaire, elles financent indirectement une série de caisses. Si celles-ci n’existaient pas, ces dépenses coûteraient très cher au salarié : assurance maladie, chômage et retraites comme par exemple aux Etats-Unis.

Par exemple, un smicard qui travaille à plein temps, va toucher 1 121,29€ net. Cela va représenter son salaire direct. Son patron va aussi payer 23% de cotisations salariales et entre 50% et 53% de cotisation patronales. En plus de son salaire direct de 1121,29€, il touche 257,80€ de cotisations salariales et 571,70€ de cotisations patronales, soit 829,60€ de salaire indirect. Il ne touchera pas cet argent directement, qui servira à payer des cotisations aux diverses caisses d’assurances étatisées.

Ces cotisations payent l’assurance maladie, le chômage, et les retraites. Quand l’état ou le patronat réduisent le montant de ces allocations, de ces prestations ou augmentent la durée de cotisation, ils réduisent le salaire indirect ou salaire différé.

Là où on sera moins d’accord avec Friot est que celui-ci va parler de salaire « socialisé » pour qualifier ce système de cotisation. Socialisé voudrait dire que ce salaire appartient à tous les salariés, et que tous décident démocratiquement de la manière dont il faut s’en servir.

Or, c’est loin d’être le cas. Le chômage, l’assurance maladie et surtout les retraites fonctionnent comme des caisses d’assurances. Une certaine cotisation (en trimestres, en heures de travail) ouvre droit à une indemnisation plus tard. Ces gigantesques caisses d’assurances sont gérées par l’état, les patrons et les syndicats représentatifs (qui n’ont qu’un tiers des voix), et si les partenaires ne tombent pas d’accord, c’est une loi qui tranche.

Ce mode de gestion est très loin d’être socialisé, mais plutôt étatisé.

Une grande réforme magique.

A partir de l’idée que les cotisations sociales représentent un salaire « socialisé », Friot développe un grand projet de réforme qui fusionnerait capitalisme et communisme, le tout sans violence.

Ce mode de gestion est très loin d’être socialisé, mais plutôt étatisé.

L’idée de base est simple, peut-être un peu trop. Tout le monde touche un salaire, qui est indépendant du travail, grâce à une taxe à 100% sur le chiffre d’affaire des entreprises. L’état redistribue cette taxe sous forme de salaire socialisé et tout le monde devient en quelque sorte fonctionnaire avec 4 grades de rémunération correspondant aux diplômes, comme les grades A, B, et C de la fonction publique.

Des mesures fantaisistes voire étranges…

Tout d’abord, son projet présente de réelles incohérences qui rendent ce système au mieux fantaisiste, au pire illusoire. Parmi les incohérences les plus flagrantes :

- Dans son projet, les retraites n’existent pas et les retraités continuent de travailler, mais selon des modalités assez vagues, on ne sait pas s’ils travaillent moins, s’ils s’arrêtent de travailler ou s’ils travaillent jusqu’à leur mort.
- Les bourgeois ne sont pas expropriés, ils sont encore à la tête de leur entreprise, mais on ne sait pas trop ce qu’ils en font, on les voit mal attendre à se tourner les pouces sans essayer de s’attaquer au salariés.
- Les salaires sont sur une grille de 4 niveaux de 1500 euros à 6000 euros. Ils sont liés au niveau de diplôme. En gros, un prolo niveau bac ou moins, touche 1500 euros, un ou une fonctionnaire à Bac +3 touche 3000 euros, une titulaire de master 2 est à 4500 euros et un docteur ou universitaire touche 6000 euros et comme par hasard Friot est prof de fac. Du coup, dans ce système, il suffit d’avoir des diplômes pour gagner 3 ou 4 fois plus qu’un prolo de base, et en général les plus diplômés ne sont pas les fils de cantonniers ou les filles de mineurs, mais plutôt issus des couches supérieures les plus riches et diplômées. Il convient de noter qu’ensuite Friot a rétropédalé, expliquant que ces grades étaient indicatifs, reposant sur les « niveaux de qualifications » et non les diplômes d’Etat, mais le principe reste le même.

Socialiser le salariat ou l’abolir ?

De fait, dans le monde de Friot, les patrons ont été mis à la porte de leurs boites, qui sont désormais gérées par un directeur d’entreprise (mais ce directeur peut être l’ancien patron. Là-dessus, Friot n’est pas clair) ; et le financement de l’économie est assuré par des sortes de mélange entre banque d’état et crédit mutuel. A noter que de ce côté-là, le projet de Friot ressemble assez au capitalisme d’état de type soviétique.

Pour revenir à ce qui nous intéresse aujourd’hui, à Friotland, que vous travailliez ou pas, vous touchez un salaire qui vous est versé grosso modo par la sécu.
Friot appelle sa proposition « le passage de la convention capitaliste à la convention salariale », car pour lui, le capitalisme est une convention sociale, pas un mode de production. Cette formule est un peu difficile à traiter sérieusement parce qu’elle semble vouloir dire que le capitalisme, c’est comme le système métrique : quelque chose qui a été institué à un moment donné, et qu’on peut rectifier pour le rendre plus efficace, par le biais de décrets.

Pour citer un extrait de son livre L’enjeu du salaire.

« Toutes les institutions sont des conventions, car elles sont le fruit de rapports sociaux ; ce sont des constructions sociales en permanence travaillées pragmatiquement par ces rapports, et qu’une action collective peut faire évoluer dans un sens délibéré politiquement. »

C’est peut-être ici que l’on peut comprendre un des problèmes centraux du raisonnement de Friot : le capitalisme n’est pas une convention. C’est un mode de production. La valeur possède une existence réelle, bien que nous sommes d’accord pour dire qu’elle n’a rien de naturelle. Certes, elle est issue d’un développement social et historique, mais c’est la base du système capitaliste : pour la supprimer, il faut en finir radicalement avec ce système.

Partie écrite à partir d’articles de Tantquil.net, écrits par Rataxes et Oulianov

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