Les luttes de quartiers face à la répression

Il reste difficile de s’organiser, même à l’échelle locale. Les luttes de quartiers se heurtent à la répression de l’Etat et des pouvoirs municipaux. Pourtant, ce sont des révoltes locales qui portent les questions des violences policières, du logement et de la précarité.

Initiallement paru sur le blog Zones-Subversives et relayé par les camarades de Marseille Info Autonomes

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Répression policière et judiciaire

La répression des mouvements sociaux passe souvent par la violence. Les méthodes de contre-insurrection à la française ont permis d’écraser les luttes anticoloniales. Les Black Panthers ont subit la prison et des assassinats. Actuellement, les manifestations des Gilets jaunes se traduisent souvent par des blessures et des mutilations. Les habitants des cités subissent d’autant plus la répression qu’ils sont ciblés par les forces de l’ordre au quotidien. Contrôle au faciès, insultes et racisme sont banalisés. La violence d’Etat tue dans les quartiers. Mais les militants se heurtent davantage à la justice, avec des procès pour outrage et rébellion ou pour diffamation.

En 2016, quelques mois après la mort d’Adama Traoré, le Comité Adama décide d’occuper le conseil municipal. Peu de temps après, les frères Traoré sont emprisonnés. En 2007, des émeutes éclatent à Villiers-le-Bel après la mort de deux jeunes percutés par une voiture de police. 33 personnes sont jugées avec des peines de 12 mois de prison avec sursis jusqu’à trois ans ferme. Plus généralement, toutes les personnes qui se révoltent contre un ordre social injuste se heurtent à la répression. « Dans les conjonctures plus routinières, ce sont les arrestations pour infractions à dépositaires de l’autorité publique qui constituent autant de rappels à l’ordre pour celles et ceux qui voudraient organiser la révolte », observe Julien Talpin.

La condamnation pour « outrage et rébellion » permet de réprimer la contestation politique. Dans les années 1990-2000, les militants proches du MIB ont subit ces attaques judiciaires. L’association Bouge qui bouge de Damarie-les-Lys est créée en 1997 après un crime policier. Au printemps 2002, deux jeunes sont à nouveau tués par les forces de l’ordre. Le Ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, porte plainte pour le tract « La BAC tue encore, la justice couvre toujours ». Les institutions excluent également Bouge qui bouge de son local. Ce qui débouche vers l’usure des militants et vers une démobilisation de l’association.

L’association Justice pour le Petit-Bard est créée à Montpellier après un incendie mortel dans l’une des barres du quartier. Le collectif porte la revendication des habitants qui veulent continuer à vivre sur place sans augmentation de loyer. Il s’oppose ainsi au projet de rénovation urbaine. Des permanences et des occupations de locaux permettent d’empêcher les expulsions des habitants. En septembre 2013, le collectif s’oppose à la police qui veut expulser des personnes âgées sans solution de relogement. Une centaine de CRS sont présents. Plusieurs membres de l’association et de la famille sont interpellés. Malgré l’important soutien militant, cette répression provoque l’usure du collectif. Néanmoins, Justice pour le Petit-Bard contribue à la politisation du quartier. Des mères de famille lancent une lutte contre la ségrégation sociale et territoriale à l’école.

Les procès en diffamation permettent également de museler la critique sociale. En 2002, Nicolas Sarkozy porte plainte contre le groupe de rap La Rumeur. « Les rapports du Ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun assassin n’est était inquiété », lance Hamé dans une interview. Il est finalement relaxé. Mais ces procès peuvent provoquer l’usure et visent à intimider. Assa Traoré, figure du Comité Adama, est ciblée par la justice pour diffamation après des posts sur Facebook. Le discours critique est accusé d’inciter à la lutte. « Radicaliser voire souder une jeunesse en quête de révolte, telle est la crainte exprimée en creux par ces rappels à l’ordre », souligne Julien Talpin. Les policiers ciblés ne le sont pas en tant qu’individus mais comme représentants de l’institution chargée du maintien de l’ordre.

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Source : Julien Talpin, Bâilloner les quartiers. Comment le pouvoir réprime les mobilisations populaires, Les étaques, 2020. Extrait publié sur le site de la revue Contretemps.

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Mouvement de l’Immigration et des Banlieues - Chronique 2001-2002, documentaire de Reynald Bertrand mis en ligne sur le site BBoyKonsian le 1er janvier 2014

Vidéo : Samir B. Elyes : plus de 20 ans de lutte contre l’impunité policière, mis en ligne sur le site Le Média le 29 juin 2020

Vidéo : Justice pour le petit bard, mis en ligne par Primitivi le 22 janvier 2019

Vidéo : Rencontre/Débats avec Julien Talpin : « Bâillonner les quartiers » au 19.59, enregistrée par le Sarcelloscope

Radio : Agenda des luttes du 28.01.2020, mis en ligne sur la radio Fréquence Paris Plurielle

Radio : Rencontre débat avec Julien Talpin, diffusée sur Pastel FM le 3 février 2020

Radio : Tristan Goldbronn, Quartiers populaires : comment s’organiser pour lutter ? Entretien avec Julien Talpin, émission diffusée sur Radio Parleur le 13 avril 2019

Radio : Martin Bodrero, Pensez les luttes : dans les quartiers, la pandémie sous pression policière, émission diffusée sur Radio Parleur le 21 mai 2020

Radio : Comment améliorer la démocratie au niveau local ?, émission diffusée sur France Inter le 17 janvier 2020

Radio : Justice pour le Petit Bard : clap de fin ?, émission diffusée sur France Inter le 19 juin 2016

Radio : Dammarie : Bouge qui Bouge, émission Là-bas si j’y suis diffusée le 22 octobre 2004

Julien Talpin, Comment la démocratie locale bâillonne les quartiers populaires, publié sur le site Médiacités le 24 février 2020

Julien Talpin, Roubaix, quand la République fait sécession, publié dans le journal Libération le 27 février 2020

« Bâillonner les quartiers » : mobilisations populaires et dispositifs participatifs, publié sur le site La Rotative le 11 mars 2020

Abdellali Hajjat, Quartiers populaires et désert politique, publié dans le site du journal Le Monde diplomatique

« Nos quartiers ne sont pas des déserts politiques ». Entretien avec Samir du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues, paru dans lundimatin#93, le 16 février 2017

Isabelle Berry-Chikhaoui & Lucile Medina, « Justice pour le Petit Bard ». Contester la rénovation et imposer la participation, publié dans le site Metropolitiques le 9 avril 2018

Fabien Jobard, Dammarie-lès-Lys : chronologie 2002-2003, publié dans la revue Vacarme n°21 le 2 octobre 2002

Marc Pivois, Une association ciblée par la police, publié dans le journal Libération le 2 mai 2003

Marc Pivois, Une association de Dammarie-les-Lys privée de réunion, publié dans le journal Libération le 4 octobre 2003

Alexandre Piettre, Entre l’urbain et le social, un espace politique ? Histoire et devenir du quartier de la Plaine du Lys à Dammarie-les-Lys à l’aune de la mobilisation politique de l’association « Bouge qui Bouge », publié dans la revue L’Homme & la Société n° 160-161 en 2006

Saïd Bouamama, Violences policières : Une colère populaire qui vient de loin face au déni politique, publié le 22 juin 2020

Inès Belgacem et Nnoman Cadoret, Le Mouvement de l’immigration et des Banlieues, matrice politique du comité Adama, publié sur le site Street Press le 19 juin 2020

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