Ils ont eu le courage de dire "non" : les mutins du 17° régiment d’infanterie de Bézier (1907)

Ils ont eu le courage de dire " non" : les mutins du 17° régiment d’infanterie de Bézier (1907). Source ???????

A la suite de mes lectures estivales et de mon dernier billet concernant la neutralité en histoire, j’ai décidé de me lancer dans une série d’articles concernant ces moments du passé où des individus, unis entre eux, ont décidé de résister et de dire « non » ¹. Non à l’injustice, non à l’absurdité de la guerre, non aux inégalités, non à la discrimination ou encore non à la domination de l’argent. C’est une fois de plus en lisant Howard Zinn que l’inspiration m’est venue.

« Les gens sont pragmatiques. Ils veulent le changement, mais ils se sentent désarmés, seuls, et craignent d’être le brin d’herbe qui dépasse et sera donc fauché le premier. Ils attendent quelqu’un qui fera le premier mouvement, ou peut-être le second. A certains moments donnés de l’Histoire, il se trouve des gens suffisamment intrépides pour parier que, s’ils font le premier pas, d’autres les suivront suffisamment vite pour éviter qu’ils ne soient fauchés. Si nous comprenons cela, nous pourrions bien faire ce premier pas² ».

C’est à ces personnes qui un jour ont eu le courage de prendre les devants, que j’ai décidé de m’intéresser. Il ne s’agit pas ici de tomber dans l’héroïsation, mais uniquement de mettre en avant ces moments de notre histoire, où dans un contexte particulier, des individus se sont unis pour défendre une cause qui leur paraissait juste. Le premier numéro de cette série d’articles est consacré aux mutins du 17° régiment d’infanterie de Béziers, qui en 1907, ont décidé de dire non à la répression aveugle et sanglante du mouvement populaire qui parcourait leur région.
Le 17ème régiment crosses en l’air dans les rues de Béziers.

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Non à la répression aveugle et sanglante des mouvements populaires
A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, l’armée avait malheureusement trop souvent un rôle à jouer lors des conflits sociaux. En effet, il n’était pas rare que les gouvernements de la IIIe République fassent envoyer la troupe, parfois même avant que manifestations et grèves ne débutent, afin de réprimer les mouvements populaires.
Des manifestations pacifiques se terminaient parfois en bain de sang. Ce fut par exemple le cas à Fourmies en 1891 (neuf morts), à Paris en 1906 (deux morts) ou encore à Draveil-Vigneux en 1908 (six morts).

C’est justement un événement similaire, la mort de cinq manifestants à Narbonne, qui va être l’un des déclencheurs de la mutinerie du 17° régiment d’infanterie de Béziers en 1907. A l’époque, le Midi est confronté à l’un des plus grands mouvements sociaux qu’il ait connu.

En effet, une grave crise provoquée par la surproduction et la mévente du vin touche le milieu viticole. Dans cette région où une grande partie de la population vit de ce produit³, il s’agit d’un véritable drame. Cette crise, tout le monde la ressent, les petits et moyens producteurs comme les ouvriers agricoles et les journaliers.
C’est ce qui va déclencher les grandes manifestations qui ont lieu au cours du printemps 1907. Chaque semaine, des dizaines de milliers de personnes descendent dans les rues pour crier leur colère et demander au gouvernement de réagir4. Le 2 juin, elles ne sont pas moins de 270 000 à défiler dans les rues de Nîmes. Une semaine plus tard, elles seront plus de 500 000 à Montpellier.

Face à l’ampleur de la mobilisation et aux menaces de démission et de grève de l’impôt proférées par certains maires de la région, le gouvernement juge le moment opportun pour réagir. Après avoir tenté de temporiser pendant plusieurs semaines, Clemenceau fait renforcer le nombre de soldats sur le terrain et décide de faire arrêter les leaders du mouvement.

Ainsi, le 19 juin plusieurs membres du Comité de défense viticole sont faits prisonniers. Cet événement déclenche des manifestations de colère. Des incidents éclatent dans de nombreuses villes, notamment à Narbonne. C’est là que le 20 juin, « sans sommation audible », un régiment d’infanterie chargé du maintien de l’ordre tir sur les manifestants et fait cinq morts.

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La mutinerie du 17° régiment d’infanterie de Béziers

« Le 20 juin, le soir nous vîmes des télégrammes sur lesquels il y avait que la troupe tirait à Narbonne et à Béziers5,et que nombreux étaient les morts et les blessés ; tout notre sang se révolta, penser que des soldats comme nous avaient le courage de tirer sur nos parents, sur nos amis, sur un peuple enfin qui ne demandait que son droit, c’était trop fort ».

Ces mots, ce sont ceux d’Edmond Moulières, soldat membre du 17° régiment d’infanterie de Béziers, qui au soir de la tuerie de Narbonne se mutina avec plus de 500 de ses camarades. C’est en effet après avoir appris la tragique nouvelle venue de la sous-préfecture de l’Aude, qu’ils décidèrent de quitter Agde, leur lieu de cantonnement, avec armes et cartouches, pour retourner à Béziers, leur ville qu’ils avaient quitté deux jours auparavant.

Crosses en l’air, c’est à pied qu’ils firent les 20 kilomètres séparant les deux villes. Ne se laissant pas intimidés, ils opposèrent une résistance pacifique aux troupes positionnées sur leur passage afin de leur faire barrage. Le 21 juin, à 5 heures du matin, toujours crosses en l’air, ils passaient les portes de Béziers et allaient se positionner le long des allées du centre-ville dans un campement de fortune.
Tout au long de la journée, ils reçurent l’appui de la population biterroise parmi laquelle se trouvaient notamment leur famille, leurs amis ou encore leurs collègues, venus leur apporter de la nourriture ou tout simplement un soutien moral. Malgré la pression des importantes forces militaires déployées dans la ville, les mutins, solidaires et fort du soutien du peuple, résistèrent sans qu’aucune goute de sang n’ait à couler.

C’est finalement dans la soirée, que les 500 soldats, se rendant dans leur caserne pour y déposer leurs armes, décidèrent de leur propre chef, de stopper leur mouvement. Pour la justice militaire, se mutiner est un fait extrêmement grave. Comment donc expliquer qu’en cette veille d’été 1907, un régiment presque entier est commis un tel acte ?

« Nous sommes ceux qui ne veulent pas tirer sur le peuple6 »

Plusieurs raisons concourent à expliquer cette mutinerie. La principale réside dans le fait, que ces 500 hommes refusaient d’avoir à se comporter comme les soldats qui avaient tirés à travers la foule à Narbonne. « Les gars du 17° n’avaient même pas reçu cet ordre de tirer. Ils se levaient pour ne pas le recevoir (…). La question de principe était bien posée : ne pas tirer quand on pense que c’est injuste7 »

Ils savaient qu’un jour ou l’autre, ils auraient à se retrouver dans une telle situation, armés, face une foule faite d’hommes et de femmes légitimement en colère et que ce jour venu, il leur faudrait avoir à commettre des actes qu’ils pourraient regretter à jamais. Alors, plutôt que d’attendre le pire, ils prirent les devants et se révoltèrent. « Nous aurons du moins montré au monde qu’il y a encore des soldats qui ne sont pas les assassins de la classe ouvrière8 ».

Au-delà du refus d’avoir à tirer sur la population, c’est la peur qui animait les mutins du 17°. En effet, les événements de Narbonne venaient de démontrer que l’armée n’hésitait désormais plus à avoir recours à la violence pour réprimer le mouvement social. Ainsi, en apprenant la mort de cinq manifestants, dont une jeune fille de 20 ans, c’est à leurs proches que les soldats du 17° pensèrent. Leur première réaction fut donc de se rendre le plus rapidement possible à Béziers.

Si le 20 juin, ces soldats se trouvaient à Agde et non à Béziers, leur lieu de casernement habituel, ce n’était pas un hasard. En effet, à l’époque le recrutement des soldats était essentiellement local. Ainsi, 80% des membres du 17° régiment de Béziers venaient de la région biterroise. Ce recrutement parmi les hommes du pays, provoquait une véritable « symbiose9 » entre la cité et son régiment.
Face à la tournure prise par la révolte viticole, le gouvernement ne voulait cependant pas s’appuyer sur ces régiments au recrutement local par peur de fraternisation entre les soldats et les civils. Ainsi, les troupes étaient éloignées de leur lieu de casernement. C’est pour cela que dans la nuit du 18 au 19 juin, le 17° fut envoyé à Agde.

Autant que leur famille, c’est par ailleurs leurs compagnons d’infortune que les mutins du 17° voulaient protéger. En effet, une grande partie de ces soldats exerçaient des professions liées directement ou indirectement à la viticulture (60% dans l’agriculture-viticulture). Le désarroi et la colère des manifestants étaient donc autant les leurs. C’est ainsi qu’ils refusèrent d’avoir à tirer sur « leurs frères de misère10 ». « Les prolétaires ne veulent pas être (…) les fusilleurs des prolétaires11 ».

« Une leçon salutaire »

Afin d’expliquer la mutinerie de juin 1907, il est enfin essentiel de s’intéresser à la place qu’occupa le peuple tout au long de cet événement. En effet, depuis leur départ de Béziers jusqu’à la fin de leur révolte, les soldats du 17° ont sans cesse été confrontés à la pression populaire.

Au soir du 18 juin par exemple, la population biterroise était descendue en masse dans les rues de la ville afin d’empêcher le régiment de partir pour Agde. Les civils craignaient en effet d’être confrontés à des troupes venues de l’extérieur, comme c’était alors le cas dans de nombreuses villes voisines. Voyant leurs soldats partir, ils les appelèrent alors à se mutiner : « Couchez-vous, ne marchez pas. Donnez vos fusils12 ». Ceux-ci refusèrent cependant de répondre favorablement à leur demande.
Le 20 juin, la situation avait changé. La troupe avait tiré sur la foule et cela les soldats du 17° ne pouvaient le supporter. « Nous voulions faire cesser cet état des choses en chassant les régiments d’apaches qui détruisaient notre cher pays13 ». Ainsi, galvanisés par le soutien de la population d’Agde ils décidèrent de se révolter. Ceux qui étaient hésitants, voir même parfois réticents, se voyaient pousser par la foule, qui avait envahit la caserne, à suivre le mouvement et à se mutiner à leur tour.
Cette population acquise à la cause des mutins, on la retrouvera enfin à Béziers, le long des allées Paul Riquet durant la journée du 21 juin. Ainsi, du début à la fin des événements, le peuple aura été au coté des soldats, participant donc grandement au succès de ce qui restera comme un fait exceptionnel dans l’histoire militaire française.

Jaurès qualifiera cette mutinerie de « leçon salutaire » pour « tous les hommes de pensée libre et de droite conscience ». En effet, la mutinerie du 17° régiment d’infanterie de Béziers est de ces moments de notre histoire, malheureusement trop peu souvent mis en avant, où « des individus ont su faire preuve de leur capacité à résister, à s’unir et même parfois à l’emporter14 ». A travers l’acte de ces soldats, qui décidèrent courageusement et pacifiquement de braver les ordres de leur hiérarchie afin de dire non à la répression aveugle et sanglante du mouvement social, on ne peut voir qu’un message d’espoir. Ces hommes ne sont pas des héros, mais simplement des citoyens, qui dans un contexte particulier, ont choisi de défendre une cause qui leur paraissait juste.

Concernant la portée de cette mutinerie, il y a fort à penser que la peur qu’elle engendra au sommet de l’État ait joué un rôle déterminant dans la tenue et dans l’issue du vote de la loi du 29 juin 1907 concernant la production viticole15. Une loi qui s’avéra être une victoire pour les vignerons du Midi. Pour leur acte délictueux, les soldats seront punis. Cependant, la sanction qui leur sera infligée sera somme toute modérée au vu de la gravité des faits. Ni peine de mort, ni travaux publics, ni même emprisonnement, les mutins du 17° seront uniquement condamnés à l’éloignement pendant plusieurs mois à Gafsa, dans le désert tunisien.

¹ J’ai choisi de m’intéresser uniquement au XXe siècle en France.
² Howard Zinn, Désobéissance civile et démocratie, 2010
³ En 1906, 82% des habitants de la région de Béziers vivaient du vin.
4 Les viticulteurs demandent par exemple que le sucre soit davantage taxé. En effet, pour une grande partie d’entre eux, la chaptalisation (fait d’ajouter du sucre au jus de raisin non fermenté afin d’augmenter la teneur en alcool du vin) est l’une des principales causes de la crise qui touche la région.
5 Joseph Fondecave, principal meneur de la mutinerie cité dans 1907, Les mutins de la République, La révolte du Midi viticole, de Rémy Pech et Jules Maurin.
6 Information fausse.
7 Maurice Agulhon dans la préface de 1907, Les mutins de la République, La révolte du Midi viticole.
8 Joseph Fondecave, principal meneur de la mutinerie cité dans 1907, Les mutins de la République, La révolte du Midi viticole, de Rémy Pech et Jules Maurin.
9 Jules Maurin dans 1907, Les mutins de la République, La révolte du Midi viticole.
10 Jaurès, 29 juin 1907 lors d’un meeting organisé par L’Humanité à Paris.
11 L’Humanité, 30 juin 1907.
12 Joseph Guiraud, soldat du 17° régiment d’infanterie de Béziers, cité dans 1907, Les mutins de la République, La révolte du Midi viticole, de Rémy Pech et Jules Maurin.
13 Edmond Moulières, soldat du 17° régiment d’infanterie de Béziers, cité dans 1907, Les mutins de la République, La révolte du Midi viticole, de Rémy Pech et Jules Maurin.
14 Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, 2003
15 Cette loi qui protège le vin naturel répondra en effet favorablement aux attentes des vignerons.
Principale source : Rémy Pech, Jules Maurin, 1907, Les mutins de la République, La révolte du Midi viticole, Éditions Privat, Toulouse, 2013

P.-S.

Article écrit par : Matthieu Lépine

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