Migrant-e-s : si nous voulons une autre politique, il faudra l’imposer !

Deux dynamiques s’opposent depuis 2015 et l’arrivée massive de réfugié-e-s fuyant les guerres et l’instabilité de l’autre côté de la Méditerranée. L’une répressive et déshumanisante, celle de l’État, réduisant toujours plus les droits ; l’autre solidaire, portée par une partie non négligeable de la population, venant en aide aux nouveaux arrivant. Où en sommes nous alors que la loi régressive « asile-immigration » arrive au Sénat ?

Les politiques migratoires

Depuis plus de 20 ans, la situation pour les personnes migrantes s’est constamment aggravée. Là d’où ils viennent, elles fuient guerres, famines, régimes politiques autoritaires et violents, pillage des ressources, dérèglement climatique, tout ceci avec la participation des États occidentaux qui refusent d’assumer ensuite les conséquences de leurs actes. Ici, elles subissent le durcissement des politiques migratoires (françaises et européennes) : développement sécuritaire et surveillance accrue des frontières, fermeture de celles-ci, expulsions et enfermements massifs, répression, traitements inhumains, violences et tortures, camps de fortune et camps de rétention, législation défavorable etc.

Nous pensions avoir atteint le summum avec les lois Bessons mais non, s’en sont suivies les lois Valls et aujourd’hui les actions du gouvernement Macron associées à la politique forteresse de l’Europe (Dublin III bientôt IV, fermeture des frontières à Calais et dans la Roya, non traitement des situations poussant les gens dans la clandestinité, renforcement des expulsions etc.).

Contrairement à ce que pourrait laisser penser ces politiques européennes et nationales, les luttes en cours contre les frontières et les expulsions, pour un accueil digne des personnes, pour la liberté de circulation et d’installation, prouvent qu’une large partie de la population est favorable à l’accueil. Alors que des milliers de personnes se mobilisent sous des formes très diverses, partout en France, pour l’accueil des personnes migrantes, le gouvernement Macron a choisi de porter un nouveau coup violent au droit d’asile avec la loi « asile-immigration ».

L’analyse du texte par la Cimade ou le Gisti, dénoncent un texte dangereux pour les personnes étrangères. Présenté le 21 février 2018 par Gérard Collomb en Conseil des ministres, il a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 23 avril, est actuellement discuté au Sénat. Parmi les propositions gouvernementales analysées par La Cimade, certaines vont largement dégrader la situation d’un très grand nombre de personnes réfugiées et migrantes, notamment la réduction du délai de recours devant la CNDA de 30 à 15 jours, l’allongement de la durée de la rétention administrative jusqu’à 90 jours, le bannissement des personnes étrangères avec la systématisation des interdictions de retour sur le territoire français, etc.

Les États Généraux des Migrations (EGM)

D’un côté, cette loi, durement contestée par les agents des institutions sensées œuvrer à la mise en place des politiques d’asile et par les travailleurs sociaux, a été combattue par la grève. Les rapporteurs de la Cour nationale du droit d’asile en sont un exemple [1]. De l’autre, depuis maintenant un an, des associations telles que la Cimade, le Gisti, Emmaüs International etc., ont tenté de regrouper tous les acteurs et actrices de la lutte pour le soutien aux personnes migrantes. 470 associations et collectifs ont adressé un courrier à M. Macron demandant en juin 2017 un changement radical de la politique migratoire française et européenne, et la mise en place d’une véritable concertation de la société civile, associant l’ensemble des ministères. Faute de réponse satisfaisante, les États Généraux des Migrations se sont constitués en novembre 2017.

De quoi avons-nous besoin pour que la situation des personnes qui se réfugient en France s’améliorent ? Comment devons-nous continuer à agir pour mettre à mal les politiques de plus en plus répressives et autoritaires ? Pour gagner le combat ?

Ils entendent alors « construire un contre-pouvoir rassemblant les acteurs de la société civile pour dénoncer les situations inacceptables qui ont cours sur le territoire français et pour se mobiliser contre le projet de loi « Asile et Immigration », construire collectivement des propositions pour démontrer qu’une autre politique migratoire est possible, construire un mouvement d’opinion pour s’opposer à une vision erronée, culpabilisante et trop souvent xénophobe des migrations et des migrant-e-s ». Pour eux, ce large rassemblement démontre en soi, « que des dizaines de milliers de citoyens en France pensent différemment la question migratoire, de façon simplement humaine et respectueuse des droits fondamentaux ». Ce processus a, en effet, eu la vertu de tirer bon nombre d’acteurs et d’actrices du monde associatif, des collectifs, des ONG vers une opposition franche et unanime à la politique du gouvernement qui, de son côté, tente d’intégrer à la gestion des dispositifs d’accueil une autre partie de ces protagonistes.

Le week-end du 26 et 27 mai 2018, les EGM, réunis en assemblée plénière à Montreuil, ont adopté un manifeste commun pour proposer « une politique migratoire respectueuse des droits fondamentaux et de la dignité des personnes ». Le texte pose et synthétise les constats fondamentaux portés par les acteurs et actrices des luttes depuis de longs mois : situation humanitaire déplorable, difficultés rencontrées par les personnes étrangères, conséquences désastreuses de politiques répressives, coûts humains et financiers exorbitants de ces politiques, entorses au droit international et aux conventions internationales ratifiées par la France, militarisation croissante des frontières, création de régimes d’exception dans les zones frontalières, absence de concertation avec les personnes étrangères et les acteurs de la société civile, absence d’évaluation des politiques mises en œuvre depuis des décennies, mise en concurrence, à travers les discours et les décisions des pouvoirs publics, des personnes subissant toutes formes de précarité, étrangères ou non, juste indignation, mobilisation et solidarité dont témoignent un nombre croissant de citoyen·ne·s partout sur le territoire, remise en cause quasi systématique de la présomption de minorité…

Lutter pour gagner

Par contre, ce texte collectif n’offre toujours pas de « mode d’emploi » face aux attaques gouvernementales, ou de propositions d’actions concertées à mettre en place sur tout le territoire français et ailleurs en Europe. Le mouvement d’opinion prôné par les EGM ne peut pas être la seule réponse. Malgré l’échec de la démarche envers les députés lors du passage de la loi à l’Assemblée nationale en avril, ils persistent et développent cette fois une action envers les sénateurs. Face à un législateur dont l’intention est de réduire à peau de chagrin les droits et la dignité des migrant-e-s, la proposition alternative des EGM en matière de politiques migratoire devient caduque, sans l’installation d’un rapport de force permettant d’infléchir le cours des événements, du moins face à la loi asile-immigration. Penser convaincre des députés de la pertinence des propositions des EGM est d’une extrême naïveté, face à des politiques prêt à tout par calcul politicien. Les EGM ont aspiré une grande part de l’énergie des collectifs, et renvoyé la question d’une lutte radicale contre la loi Collomb à demain. Mais demain, quels moyens d’actions aurons-nous encore alors que nous n’aurons probablement même plus la possibilité d’être en relation sur de la durée avec les personnes qui s’exilent ?

Sans rapports de force en notre faveur, y compris si l’on souhaite infléchir le cadre de la loi, on perd sur les enjeux généraux qui ensuite nous font perdre chacun notre tour dans les collectifs sur les situations individuelles. Si le texte des EGM peut servir de point d’appui pour dessiner un chemin vers un avenir souhaitable, chaque collectif, association et acteur-actrice doit maintenant s’atteler à l’augmentation de notre rapport de force collectif sans lequel, il semble bien que nous allions droit dans le mur.

Les approches humanistes, si elles sont un point d’appui réel pour développer de la solidarité envers les personnes migrantes, ne suffisent pas à inverser le cours des événements : trop de personnes sont perméables au discours dominant qui désigne les immigré-e-s comme un problème, responsables ou aggravant chômage, précarité, misère, inégalités. Pour battre en brèche ce discours dominant, nous devons développer l’idée que les immigré-e-s ne sont pas responsables de ces maux mais les premières victimes d’un système que nous (les non-migrant-e-s) subissons aussi. Seule la solidarité de classe peut casser cette idée dominante que les immigré-e-s sont nos ennemi-e-s. Cela passe par l’idée que nous avons plus de points et d’intérêt communs avec des migrant-e-s d’Afrique, par exemple, qu’avec les responsables des régressions sociales (capitalisme, État). Aborder la question des inégalités engendrées par le capitalisme paraît plus que nécessaire pour que plus de gens se solidarisent avec les migrant-e-s.

Il ne s’agit donc pas de limiter les champs d’action possibles des collectifs de lutte mais bien de privilégier l’instauration d’un rapport de force suffisant et amener une adhésion de la population pour que cesse cette barbarie en cours. De quoi avons-nous besoin pour que la situation des personnes qui se réfugient en France s’améliorent ? Comment devons-nous continuer à agir pour mettre à mal les politiques de plus en plus répressives et autoritaires ? Pour gagner le combat ?

Ce 19 juin, les sénateurs vont à n’en pas douter, encore durcir la loi Collomb (suppression de la carte pluriannuelle de quatre ans, durcissement du regroupement familial, délai de recours ramené à 7 jours pour les « dublinés », instauration d’un débat annuel au Parlement sur les quotas etc.). La lutte est donc une nouvelle fois à reconstruire. Nous ne sommes qu’au début des manifestations, des rassemblements, des pressions, des interpellations, des expulsions auxquelles il va bien falloir s’opposer.

Notes

[1Voir l’article paru sur basta ! à ce sujet.

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