Auto-médias, indépendants ou de masse : notre crédibilité dépendra en partie de notre capacité à maîtriser nos outils médiatiques

Alors que les mouvements sociaux commencent à prendre de l’ampleur et intéresser les médias mainstream, il semblait opportun de faire un point sur notre capacité à communiquer sur nos actions, notre lutte et ses objectifs.

États des lieux des relations entre les médias de masses et les mouvements sociaux

On a pu constater ces dernières années dans nos milieux une certaine méfiance à l’égard des médias de masse. Sans tomber dans la posture caricaturale et populiste de certainNEs politicienNEs, cette méfiance peut se justifier en effet en parti par un discours médiatique souvent hostile aux mouvements sociaux. Cette hostilité peut s’expliquer par une connivence entre médias et pouvoir économique et/ou politique et par le discours d’une classe journalistique bourgeoise un peu déconnectée des réalités sociales, qui transpire parfois, le mépris de classe. Mais cette méfiance ne peut se résumer à cet antagonisme de classe qui n’est valable que pour une partie de la profession. En effet, la plus part des travailleurEUSEs sont eux/elles-mêmes soumiEs à la libéralisation de l’économie et au sein de leurs rédactions, subissent aussi le coût de la course au profit ainsi que les coupes budgétaires qu’elle induit. Concrètement cela se traduit, dans le travail, par un manque de financement pour faire correctement des investigations, par une prolifération des formats courts, fonctionnant sur le scoop et le sensationnalisme au détriment, du discours de fond. L’élitisme et la normalisation de ses pratiques dans les centres de formation, les systèmes de subventions et de financement profondément inégalitaires, sont autant de facteurs qui favorisent la reproduction d’une classe journalistique qui monopolise la parole dans le débat public (biaisé au final par le manque de représentation des concernéEs) et qui fonctionne sur des méthodes privilégiant la puissance de l’image au discours et l’émotionnel, à la réflexion. C’est principalement de ces méthodes journalistiques qu’il est important de se prémunir plutôt que de se focaliser sur un clivage militants/médias. Ce clivage principalement instrumentalisé ces derniers temps par des politiques contribue qu’à nous ostraciser d’avantage (de médias qui nous proposent de toute façon que rarement de prendre la parole) et laisse le champs libre aux carriéristes de se présenter comme la principale alternative au libéralisme. A l’ère de l’image, il semble de toute façon peu probable qu’un mouvement puisse être totalement hermétique aux mass médias. Les événements seront quoi qu’il en soit filmés, présentés, discutés. À nous de faire en sorte de ne pas être l’instrument médiatique d’une course au buzz et d’être en capacité de maîtriser ces outils de communications. La projection d’un mouvement d’ampleur nous oblige à nous questionner sur notre rapport aux médias. Notre crédibilité dépendra en partie de notre capacité à communiquer clairement.

Ne pas subir systématiquement les méthodes journalistiques

En prenant en compte le fait que pour déconstruire une idée préconçue, il faille pouvoir s’exprimer un certain labs de temps sans être trollé toutes les cinq minutes par un professionnel, qui en plus d’avoir l’avantage de balancer des idées faciles, bénéficiera d’un média training que nous n’avons pas. De manière générale, on constate que les modalités des débats télé ne permettent que rarement de développer une idée qui s’éloignerait de la doxa dominante. De plus, l’omniprésence de journalistes ou chroniqueurs y défendant des valeurs principalement libérales, voir parfois carrément réactionnaires, centralise constamment le débat autour de leurs propres grilles de lecture- faisant de ces valeurs, la norme idéologique au sein du débat public.

Les formats médiatiques, dans leur ensemble, ne rendent pas la chose plus simple. Le mini-reportage sur les étudiants de Montpellier du webzine BRUT, parce que justement l’intégralité de l’interview a aussi été diffusée, illustre l’uniformisation de ces pratiques journalistiques et combien les longs discours montés sur une courte durée ne peuvent aboutir qu’à l’instrumentalisation de quelques phrases. La nécessité donc de se questionner sur le fait d’accepter ou pas ce type de format, et d’en définir les modalités au préalable, demeure.

Pour l’exemple, le choix des propos et intervenants exclus du montage final [1] et ceux visibles dans l’intégralité de l’interview [2] (en faisant l’impasse sur la musique flippante rajoutée sur les images, même pas osé par les médias les plus partisans) démontre comment la multiplication et la longueur des interventions ajoutées aux contraintes du format court, incitent et permettent aux journalistes de choisir quels propos et quels intervenants vont représenter et définir nos mouvements. Et il semble évident que c’est en décidant nous même collectivement d’un nombre limité d’interventions et des points primordiaux à aborder dans celles-ci, ainsi qu’en maîtrisant un discours concis- audible rapidement même par celles et ceux qui ne disposent pas de nos grilles de lecture- que nous exempterons ce choix aux journalistes. Concernant le choix des intervenants, on s’aperçoit qu’une seule intervenante est au final présente à l’image. Le fait que ce soit la personne qui ait filmé les événements discutés semble logique, ceci-dit, même sans cela, il y a fort à parier qu’entre la jeune étudiante et le copain habillé type black block à coté d’elle, ce dernier aurait de toute façon eut peu de chance d’être choisit par le journaliste pour personnifier un mouvement se présentant comme pacifiste. Ces choix par exemple, en terme d’images, contribuent malgré nous à renforcer cette dichotomie dans l’imaginaire collectif entre le bon manifestant pacifiste qui n’aurait rien à cacher et la personne cagoulée, le casseur qui serait violent- distinction beaucoup moins nette dans la réalité puisqu’ils sont assis tous les deux cote à cote durant l’interview, à parler d’un événement qu’ils ont vécus communément. La volonté de donner une image plus glamour de la lutte peut être un choix mais celui-ci doit rester le notre.

Concernant les propos écartés, il y a en premier lieu bien sur, un classique, l’objet des revendications, le parallèle fait entre les pratiques policières et les attaques fasciste (d’ailleurs le terme fasciste n’apparaît pas non plus), les relations poreuses entre les deux,etc… Certes le journaliste se doit de faire preuve de réserve mais ici seuls les propos se limitant à expliquer les images, ont été retenus. Au final, le discours politique a été vidé de son contenu.

Conférence de presse tragi-comique pour dénoncer cette société spectaculaire & policière, Université de Nantes - 287.9 ko
Conférence de presse tragi-comique pour dénoncer cette société spectaculaire & policière, Université de Nantes

La violence si limpidement unilatérale concernant les événements de Montpellier et la bienveillance éphémère envers les mouvements naissants ont joué en notre faveur. Néanmoins, de manière générale, sans parler de propos repris hors contexte ou simplement mal formulés, la multiplication des interventions individuelles ne reflétant pas forcément un positionnement collectif, surtout dans un contexte tendus ou plus confus, ne peut donner qu’une image d’un mouvement désorganisé et contribuer à la décrédibilisation de celui-ci.

Bien que dans cette course à l’audimat, les flash news aient une durée de vie relativement courte, nous ne sommes en rien obligé de céder à cette frénésie médiatique et devons prendre le temps, si nécessaire, de s’assurer que nos propos soient l’expression d’une réflexion et d’une parole commune. Nous sommes non plus, en rien obligéEs, de nous subordonner à des formats journalistiques qui ne nous permettraient pas d’exprimer clairement notre point de vue- qui même sans dénaturer nos propos, les polirait ou les viderait de leur contenu politique. Sans parler nécessairement d’un boycott des médias utilisant systématiquement cette méthodologie- bien qu’il n’y ait rien non plus qui pourrait exclure a priori, cette hypothèse- la pertinence de privilégier en particulier les interventions dans des médias publics ou indépendants, auto-critiques et sensibilisés à ces problématiques, semble assez évidente.

En outre, les médias mainstream restent un outil qui représente, à bien des égards, des limites. Il semble évident que si ils permettent un champ de diffusion assez large, ça reste via nos auto-médias que nous serons le plus à même de développer et diffuser des réflexions politiques. Ce sont ces alternatives aux médias traditionnels trop peu démocratiques, qui nous permettent en premier lieu, de nous réapproprier la parole et de nous exprimer par nos propres moyens. Par nécessité d’émancipation, nous nous devons de les mettre en avant. Les médias de masses de toute façon, si ils ont rien d’autres à se mettre sous la dent, se contenteront de reprendre les images de nos auto-médias, comme ils le font déjà entre eux pour couvrir l’actualité.

Portes paroles et leadership

Pour cet anniversaire de mai 68, l’ambiance est pour le moins bouillonnante et si les précédentes révolutions ne nous donnent pas les clés des chemins à emprunter, elles nous ont montré ceux à éviter. En terme de représentation médiatique et de leadership, le mouvement de 68 nous a clairement indiquer ceux à ne pas suivre.

Bien sur il faut se prémunir de toute forme de censure (qui concéderait la parole qu’a quelques représentantEs), et libre à chacunE de s’exprimer individuellement, en étant consciantE qu’il/elle le fait en son nom, et que les interventions médiatiques, tout comme nos actions politiques se doivent d’avoir une finalité.

Néanmoins, dans son texte « la tyrannie de l’absence de structure », Jo Freeman qui revient sur son expérience au sein du MLF, l’exprime ainsi. « Nous vivons dans une société qui attend des groupes politiques qu’ils prennent des décisions et désignent des personnes déterminées pour les exposer au grand public. (…) S’il est clair que le mouvement n’a pas explicitement désigné de porte-parole, il a tout de même soutenu plusieurs femmes qui ont attiré l’attention du public pour différentes raisons. Normalement ces femmes ne représentent ni un groupe déterminé ni l’état d’une opinion ; elles le savent et le disent en général, mais étant donné qu’il n’existe pas de porte-parole du mouvement ni d’organe décisionnaire que la presse peut interroger directement, elles se retrouvent, indépendamment de leur volonté et indépendamment de leur acceptation ou non par le mouvement, à assumer le rôle de porte-paroles par défaut. »

L’usage systématique de portes-paroles ne peut que renforcer ce culte du leadership dont on constate assez facilement les dérives dans nos mouvements. En effet, celui-ci peut amener, dans un premier temps à une forme de hiérarchie (pas forcément choisie) qui peut entraîner un décalage entre les représentants d’un mouvement et sa base- qui si il ne conduit pas à une forme de scission, affaiblit du moins le mouvement.

La manière la plus radicale de lutter contre cette notion de leadership reste encore de favoriser les interventions par communiqués, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de s’adresser à des médias dont le format ne nous permet pas de nous exprimer correctement. Le communiqué à cet avantage par rapport à l’image, qu’il peut difficilement être modifié et ne met personne en avant- il s’exprime de manière concise au nom de tousTES.

Dans le cas où l’option d’unE porte-parole se présente, mandater ce/cette dernière reste nécessaire afin d’éviter les portes-paroles auto-proclaméEs ou choisiEs par les médias eux-mêmes. Il est important (comme tout autre mandat) que celui tourne afin d’éviter une éventuelle monopolisation de la parole par un/une camarade et que la pluralité de nos mouvements et des individus qui les composent soient représentés. D’autant plus que nous savons pertinemment que l’accès à la parole dépend notamment d’une capacité à maîtriser une certaine rhétorique et certains codes relevant notamment d’une éducation et d’une construction sociale, qui privilégie en particulier les individus issus des classes blanches moyennes, si ce n’est bourgeoise. Les exemples parlant de 68 ne laissent que peu de doutes à ce sujet.

De manière plus large, il est bon de se rappeler qu’il existe tout un champs d’actions pouvant être beaucoup plus parlant que n’importe quel communiqué ou interview. Des clowns activistes aux actions des WI.T.C.H, en passant par les conférence gesticulées, les exemples de moyens d’expression collective et/ou anonyme ne manquent pas.

Dans tous les cas, il est nécessaire de se prémunir de toutes formes de médiatisation qui pourraient entraîner la monopolisation de la parole au sein de nos mouvements par quelques unEs- et qui nous réduiraient à n’être que le relais d’une hiérarchisation que l’on condamne.

La question de la médiatisation ne doit absolument pas être centrale dans nos luttes. Néanmoins notre capacité à ne pas reproduire les schémas de représentation de nos démocraties libérales, sera le moyen pour ce mouvement naissant d’envoyer un message fort quand à notre détermination et notre volonté de repenser leur organisation sociale.

« Aller Dany, merci de nous avoir montrer le chemin à pas suivre ! »

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