La dernière assemblée du 15 mars se donne une tonalité de lutte. La précédente AG avait alors sombré dans le défouloir des briseurs de grève. L’assemblée doit être présentée non pas comme un simple espace démocratique, mais comme un outil de lutte. L’assemblée doit favoriser la prise de décision et fixer les grandes lignes d’un mouvement. Elle doit permettre l’auto-organisation de la révolte.
Assemblée de lutte
Les prises de parole expriment davantage un discours politique. Un témoignage de Toulouse dénonce les syndicats qui s’opposent à la grève et tentent de canaliser la lutte. A Toulouse, le mouvement propose un blocage économique. La proposition positive suscite l’enthousiasme. Un étudiant critique la direction de l’Université. Il demande la démission du président et propose de mettre une pression constante sur la direction de la fac.
Cravate violette sur chemise noire, un étudiant se présente comme un membre du SEUM et un sympathisant du Modem. Il prend le contre-pied du discours citoyenniste de défense de l’Université. Il propose l’abolition de l’Etat et des services publics. Il appelle à perturber les cours alternatifs mis en place par le comité de mobilisation. Il propose la grève et le blocage de la fac jusqu’à la démission du président Patrick Gilli. Il propose également de brûler la fac, sans doute l’institution plus que les bâtiments.
Un autre étudiant propose une interdiction de campus pour le président. Celui qui se prend pour un monarque aime bien interdire de campus tous ceux qu’il considère comme les meneurs de la révolte. Cette fois-ci, c’est lui qui pourrait être interdit de campus. Malheureusement, ces diverses propositions ne passent pas. Mais elles fixent un niveau d’exigence qui permet de reconduire la grève et le blocage jusqu’au 26 mars. De quoi bien organiser le mouvement et la journée inter-professionnelle du 22 mars.
Comité de mobilisation
Le comité de mobilisation qui se réunit le 16 mars prend une nouvelle tournure. Le bâtiment administratif, dans lequel siège la direction, est bloqué. Mais le président convoque les syndicats pour tenter de briser la grève. Sa manœuvre grossière échoue. Ses mails agressifs et ses multiples tentatives d’achever le mouvement permet aux étudiants et étudiantes de comprendre la véritable nature du président. Non, ce n’est pas juste un prof de gauche qui tente tant bien que mal de gérer une situation critique. C’est un bureaucrate qui veut faire régner l’ordre dans une fac élitiste fermée aux milieux populaires. Beaucoup se sentent trahis par l’attitude du président.
Le comité de mobilisation regroupe souvent une centaine de personnes qui veulent participer activement à la lutte. Certes, seuls quelques militants, la plupart des hommes, s’expriment à chaque fois. Mais ces réunions sont toujours importantes car les étudiantes et étudiants moins politisés s’expriment de manière gestuelle pour approuver un propos. Surtout, les commissions en petits groupes permettent davantage de prendre la parole pour exprimer un point de vue.
Rencontre avec Patrick et la direction
« On demande Patrick. Il est parti ? C’est à Patrick ». Voilà comment le président de la fac est annoncé. Ce qui lui enlève toute forme d’autorité ou de statut particulier. Le comité de mobilisation, comme l’assemblée, se présente comme un cadre anti-hiérarchique. Pour intervenir, il faut s’inscrire sur un tour de parole. La présidence de la fac ne comprend pas cette démarche. Des dirigeants de la fac demandent à recevoir une délégation dans leur bureau. Le comité refuse ce principe de la délégation qui consiste à confier la parole et le pouvoir à quelques syndicalistes responsables qui se font enfumer dans des bureaux administratifs. Il n’y aura plus de négociation de couloir. La délégation de l’assemblée, c’est un comité de mobilisation ouvert à tous.
Les étudiants et étudiantes n’expriment aucune agressivité ou même conflictualité. Le refus de s’adresser au pouvoir n’est pas leur motivation. Mais ils et elles restent attachés au cadre de l’auto-organisation et au refus de la délégation de pouvoir. Les membres de la direction peuvent librement s’exprimer dans le cadre du comité. Mais ils doivent s’inscrire sur un tour de parole. Ils sont ensuite appelés par leur prénom, comme le veut l’usage. Cet attachement à des principes anti-hiérarchiques est perçu par le président comme une humiliation. Il est dépossédé de son statut et de son autorité. Son discours révèle alors toute sa vacuité. Une étudiante parle fort pour s’adresser à des bureaucrates qui tournent les talons. Ils refusent de participer au comité de mobilisation et d’écouter les personnes qui s’expriment et répondent à leurs maigres arguments. La direction montre son vrai visage plein de morgue et de mépris. Mais aussi d’impuissance et de ridicule.
Paul-Va ingouvernable
Des étudiantes et étudiants s’adressent déjà au comité de mobilisation pour organiser des événements. La présidence veut une fac morte et annule tous les initiatives étudiantes. Mais le comité prend le relais. C’est maintenant le mouvement de lutte qui permet l’organisation des événements étudiants, et non plus une direction institutionnelle qui semble prendre l’eau. Le pouvoir passe aux mains du mouvement.
Après ce comité amusant, un « printemps des chaises » est lancé. Il s’agit de vider les bâtiments du matériel qui permet de fortifier les barricades. Le mouvement doit se rendre maître du campus. Les bâtiments doivent être entièrement bloqués. Mais c’est le bâtiment de la direction qui fait les frais de la plus grande inventivité. C’est une véritable pyramide qui se dresse pour empêcher la direction de se réfugier dans son palais.
Ce n’est pas le mouvement qui a d’emblé exprimé une conflictualité frontale avec la direction. Bien au contraire. Le blocage a même semblé soutenu et cogéré avec la présidence. Mais les mails agressifs du président et la découverte d’une clique méprisante prête à briser l’avenir de la jeunesse pour se maintenir au pouvoir ont été bien plus efficaces que tous les discours de mise en garde.
Pression continue
Le 20 mars c’est le site de Saint-Charles qui est bloqué pour « mettre une pression continue sur la direction de la fac », selon l’expression décidée à l’AG. Le bâtiment abrite notamment les doctorants. Le coup est réussit. Patrick Gilli vient en personne avec toute une escorte. La DGS de la fac, responsable de la discipline et de la sécurité, mais aussi des policiers des Renseignements généraux sont de la partie. Les étudiants et étudiantes se prennent la main et avancent en sautillant. Ils font une farandole en direction du président. Cette esthétique bon enfant suffit pourtant à l’énerver et à le faire fuir. Comme Patrick Gilli le dit lui-même dans le torchon local : « le mouvement s’est radicalisé »
Même si cette lutte comporte quelques limites, notamment avec quelques étudiants qui monopolisent la parole. Ce sont souvent des militants gauchistes attachés à un discours réformiste de défense de l’Etat plutôt que de parler des effets concrets de la sélection sociale. Le cadre de l’auto-organisation devrait au contraire permettre à n’importe qui de s’approprier la lutte. Le mouvement doit maintenant s’élargir, organiser des actions pour bloquer au-delà de la fac et participer à une véritable lutte inter-professionnelle.
Le mouvement s’est rapidement radicalisé. La lutte permet de réfléchir collectivement et individuellement. Le mouvement permet de se forger une réflexion critique et de prendre conscience dans notre force collective. Il ne doit plus y avoir de retour à la normale.