Conventions d’occupation et anti-squat en Belgique

En Belgique une loi anti-squat vient d’apparaître. Des associations qui ont récupéré les pratiques de squat pour en faire un nouveau marché du capitalisme low-cost ont préparé le terrain. Ce texte peut nous éclairer sur le contexte des squats à Montpellier. Explications.

Cet article émerge d’une réflexion menée à plusieurs, face à la nouvelle loi Anti-squat chez nos copainEs de Belgique. Des rencontres ont lieu actuellement entre certainEs membres d’ASBL [1] et certainEs membres de squats et occupations politiques organiséEs de Bruxelles.

Nous proposons ici une analyse partielle et partiale de ce que nous avons compris, glané, digéré et vomi d’une de ces rencontres à laquelle nous avons assisté.

Convention et loi antisquat : quézaco ?

La convention d’occupation ou bail précaire est un accord passé entre un.e propriétaire - privé ou public - d’un bâtiment et un ou plusieurs occupant.e.s, représenté.e.s ou non par une association. Cet accord règle les conditions que le ou la propriétaire fixe aux occupant.e.s pour leur maintien dans le bâtiment : loyer, paiement des charges et taxes, travaux, accueil public, durée du préavis, … Occupant.e.s et propriétaires peuvent mettre fin au bail sans raison particulière.

La loi Anti-squat a été adoptée en Belgique à la mi-novembre 2017. Elle modifie la manière dont est traitée l’occupation d’un lieu sans convention. Ce traitement était avant cette loi à peu de choses près le même qu’en France. Depuis cette loi :

La jambisation est déjà envisagée par certain.e.s.
  • l’expulsion peut être décidée et mise à exécution en 8 jours sans passer par un juge (le/la procureur.e a les mains libres pour agir seul.e)
  • un délai maximal avant expulsion est fixé : 1 mois pour le bâti privé et 6 mois pour le bâti public,
  • en plus les personnes impliquées risquent jusqu’à 1 an de prison puisque relevant d’un tribunal pénal et non plus civil.)

Ces évolutions ne naissent pas qu’en Belgique, elles sont déjà réelles et abouties dans d’autres pays d’Europe, aux Pays-Bas et en Allemagne par exemple.
Les attaques contre les pratiques autonomes et en particulier contre le squat forment un mouvement de fond qui touche tous les pays de riches. Le conventionnement [=convention d’occupation=bail précaire] existe en France et des acteurs économiques, associatifs ou non, sont déjà en train de se positionner sur ce nouveau marché de la misère rentable.
N’’en doutons pas, des lois équivalentes nous tomberont dessus dans les années à venir, la multiplication récente des lourdes condamnations ou poursuites de squatteur.euse.s n’en sont que des avant-goût.

Ne nous laissons pas prendre de cours.

(...)

Différenciation politique : désir/autogestion/horizontalité vs autorité/gestion/verticalité

Les squats politiques sont des lieux qui visent à l’autogestion et à l’autonomisation à travers la mise en place de mode de fonctionnements horizontaux et d’outils de transmissions des savoirs et savoirs-faire.
Le refus de payer ou d’indemniser les propriétaires permet une égalité entre les membres sans que se pose la question des revenus personnels. L’absence de négociation évite le besoin de mettre en avant celleux qui seraient les plus aptes à séduire un propriétaire.
Le contenu politique souvent affiché est garant de la possibilité de remettre en cause la position de celui ou celle qui tenterait de prendre le pouvoir.

Malgré ça, la reproduction des schémas de domination existe dans les squats, alors dans des lieux qui ne tentent même pas de remettre en question ces schémas, c’est la porte ouverte au néant...

Les lieux conventionnés ont des fonctionnement divers qu’il est difficile de déterminer puisqu’il s’agit souvent de petites unités d’habitation impliquant peu d’individus.

(...)

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La réalité est pourtant toujours la même : un double discours permanent qui fait exister, en parallèle de ces structures, des positions de pouvoir incontournables et des passe-droits liés au copinage et à l’ambition personnelle. Ces positions se maintiennent entre autres parce que les « services » rendus par ces personnes créent en dessous d’elleux une armée d’obligé.e.s qui se sentent redevables et qui participent grandement à les légitimer...

Les ASBL « capitalistes » comme les agences immobilières sociales ne se soucient absolument pas d’horizontalité ou d’auto-gestion, les structures contrôlent les règles de vie des habitant.e.s ou usagers des bâtiments, les loyers (ou « participation aux frais ») sont strictement déterminés et le non-respect des chartes est puni d’expulsion. Les permanent.e.s de ces structures sont seul.e.s maîtres.ses du choix des projets accueillis dans les bâtiments.

Perspectives capitalistes et angoisses de demain

(...)Cartels :

les acteur.trice.s de ce nouveau marché étant peu nombreux.ses, ielles sont souvent issu.e.s des mêmes classes sociales aisées, ce qui entraine l’existence d’ententes informelles sur le partage des bâtiments et sur les règles de fonctionnement à l’intérieur des lieux conventionnés - niveau de la PAF, niveau de l’épargne obligatoire, niveau des rémunérations.

Répression des formes d’organisation autonomes :
Cette forme, l’occupation conventionnée, de la plus intégrée au modèle capitaliste à la plus proche des pratiques de squat, laisse une porte ouverte a l’institutionnalisation de nos lieux de vie et de nos pratiques.

Parce qu’elle crée des alternatives légales aux squats non-conventionnés nous pensons qu’elle prépare le terrain à une loi Anti-squat. Toute mobilisation contre cette loi est très affaiblie car, beaucoup de lieux étant conventionnés, il est facile de montrer du doigt les squatteur.euse.s comme étant des jusqu’au-boutistes qui refusent toute solution.
Il est malheureusement bien évident que les collectifs anarchistes et de galérien.ne.s (sans-papiers, gens de la rue, pauvres en général) ne sont pas reçus comme des interlocuteurs.trices crédibles par les propriétaires. Celleux-ci préfèrent s’adresser à des ASBL dont la sociologie est claire : une sur-représentation de blanc.he.s ayant eu accès à des études supérieures, voire ayant dans leurs relations personnelles des liens avec des propriétaires et des élu.e.s.
L’obligation de conventionner un bâtiment AVANT de l’occuper ne laisse aucune place aux pratiques autonomes, et le seul choix pour celleux qui refuseraient de se soumettre est la rue ou la prison.

Récupération politique et matérielle :
Des collectifs existants ont déjà engagé des démarches allant dans le sens du conventionnement et de l’institutionnalisation. Des associations et des entreprises sont présentes et actives dans les métropoles de France.
Sous le prétexte de l’urgence sociale, ces collectifs s’allient avec des squatteur.euse.s politiques afin d’ouvrir des lieux qui n’ont rien d’autogestionnaire et qui ne visent pas à l’émancipation des individus à travers leur autonomisation, mais bien à l’intégration économique des individus (accès à l’emploi, au marché locatif classique, aux associations humanitaires).
Tout doucement, s’insinuent dans nos lieux de vie une dénonciation de nos modes d’organisation, une décrédibilisation de nos pratiques, une récupération matérielle et politique de l’histoire foisonnante des squats, anarchistes ou non, et des savoirs-faire associés (ouverture, électricité, plomberie, informatique, ...).

Perspectives révolutionnaires

  • D’abord, accentuer l’attention portée aux prises de pouvoir dans nos lieux et à l’institutionnalisation insidieuse qui vient trop souvent avec les habits de la solidarité et du désir de pérenniser les lieux occupés.
  • Être fermes sur les pratiques d’organisation collective autogestionnaires et anti-autoritaires. Ce sont des pratiques qui éloignent et empêchent ce genre de dérive dans nos milieux. Nous devons être vigilant.es si nous ne voulons pas que les squats et occupations deviennent des incubateurs de start-up, ASBL, AIS et autres larbins de la gentrification et du capitalisme.
  • Maintenir et développer comme axe majeur la pensée féministe matérialiste : les premiers signes de ce type de dérive sont presque toujours le sexisme et le paternalisme.
  • Penser les stratégies de diffusion des pratiques autogestionnaires et anti-autoritaires auprès des habitant.e.s des lieux conventionnés, leur transmettre en priorité les savoirs-faire plutôt que de les donner aux gestionnaires.

A l’heure où, en France, de nombreux collectifs et associations se tournent vers les squatteurs et les anarchistes pour ouvrir des lieux qui permettent d’accueillir des réfugié.e.s, seul.e.s ou en famille, il nous semble indispensable d’affirmer haut et fort nos objectifs politiques.

Il n’y a pas d’entre-deux, celles et ceux qui ne se réclament pas de l’auto-gestion ne peuvent pas être nos allié.e.s.
Celles et ceux qui perpétuent les pratiques capitalistes du loyer, de l’emploi, de la charité payante (oui, parce que l’assistanat ce n’est pas bon pour le développement individuel, tu sais), qui permettent à la propriété privée de trouver une échappatoire là où son injustice est criante, ne peuvent pas être des allié.e.s et deviendront bien vite des ennemis lorsque l’étau se resserrera.
Créer des données pour l’administration, se poser en gestionnaire de la vie des pauvres, rendre invisible la misère liée à la propriété privée des logements, créer une nouvelle strate de pouvoir et un nouveau marché du capitalisme low-cost ne peuvent pas être considérés comme des pratiques « borderline » : la ligne est largement franchie.
Les personnes qui la franchissent pourront toujours se voiler derrière leur humanisme bas-de-gamme ou un pseudo-apolitisme, nous ne nous ferons plus berner. Et nous invitons tou.te.s nos copainEs dans les squats et dans les milieux politiques organisés à agir contre ces pratiques et contres celles et ceux qui les diffusent.

La jambisation est déjà envisagée par certain.e.s. Dans tous les cas, l’attaque politique systématique des individus et l’attaque matérielle des lieux (graffitis, bris de vitres, destruction des données créées par le « suivi social », exclusions physiques, attaques informatiques) sont absolument nécessaires.

Ces quelques ligne de défense nous semblent être les seuls moyens qui peuvent empêcher nos milieux d’être récupérés à des fins capitalistes et qu’une loi anti squat nous tombe sur le coin de la gueule. Puis de voir nos copainEs condamné.e.s à la rue ou à la prison.

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Notes

[1ASBL = association à but non-lucratif ; par simplicité c’est le mot que nous utiliserons pour parler des ASBL spécifiques au secteur des conventions d’occupation. Et parce que c’est comme ça qu’en parlent les copainEs de Belgique

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