Le Tocsin de Saint-Victor (12)

Saint-Victor est une commune du sud Aveyron sur laquelle RTE, le géant de l’acheminement électrique, souhaite installer un énorme transformateur de 10 ha. Le projet fortement contesté date de 2010, l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, qui durera un mois, a commencé lundi dernier.

Saint-Victor, le mardi 7 novembre 2017, 13h55.

De notre vie, nous ne l’avions entendu sonner. Pourtant quand les cloches se mettent à battre le tocsin au sommet du vieux donjon, son timbre nous imprègne immédiatement d’une certaine gravité. On se prend à rêver que ce jour entre dans l’histoire rouergate aux côtés du serment des 103 paysans du Larzac, des insurrections de croquants villefranchois et des grèves des mineurs de Decazeville. Notre mémoire, quoi qu’il arrive, l’inscrira comme un tournant de la résistance au méga-transformateur. Comme le jour où trois commissaires enquêteurs ont dû se retirer, piteux, face à la détermination du village.

Qu’a donc bien pu se dire Monsieur Lasserre, chef d’entreprise à la retraite et président de la commission d’enquête, en s’approchant par les routes ensoleillées du causse ? Son œil a-t-il été attiré par les immenses banderoles flanquant la majestueuse tour de guet ? Y a-t-il déchiffré le slogan de l’Amassada, « Pas res nos arresta1 » ? Se souvient-il, lui, de cette image de Plogoff où la résistance à la centrale nucléaire avait affiché au faîte de l’église un « appel du clocher contre l’envahisseur » ? Connaît-il l’histoire du Carnet, de Golfech, du Pellerin… tous ces lieux où l’on bloqua également la tenue des enquêtes d’utilité publique ? Mais il se peut qu’il n’ait rien vu, trop occupé à dénombrer les dizaines de pylônes et de lignes électriques qui lacèrent déjà les paysages du plateau. Sans doute, plus prosaïquement, rêvassait-il au nombre de pages qu’il pourrait produire à l’issue de la journée et à la rémunération y afférant... Mais à présent sa voiture zigzague à l’entrée du village Àles chicanes faites de bottes de paille et de vieux outils agricoles ; tendue entre deux arbres au dessus de la route, une mise en garde : « Saint-Victor résistera ».

À Voir : "Prise de la Tour"

Il est descendu de voiture avec les deux autres commissaires, ils s’avancent d’un pas mal assuré, feignant la sérénité, sourire de façade mais dents serrées devant les caméras de France 3. Autour d’eux, les balcons de la grand-rue donnent le ton : « On n’est pas D.U.P. », « L’enquête Lasserre à rien », « RTE Remballe Ton Enquête », « Chatry raballa pas aqui2 », « Enquête, coup d’tête balayette »… Trois tracteurs placés aux avant-postes témoignent de la mobilisation des agriculteurs menacés d’expropriation. Nous sommes 200 à les attendre, derrière un château de bottes de paille crénelé barrant l’accès aux trois portes de la mairie. Cela ne fait pas seulement quelques heures que nous attendons. Nous attendons depuis sept ans. Sept ans à écrire des textes, à organiser des soirées d’information, des manifestations, à construire des cabanes sur les terres convoitées par RTE, à acheter à plusieurs centaines quelques ares en indivision, à nous réunir chaque semaine sur la Plaine3. Des années que cette enquête est annoncée puis repoussée. Aujourd’hui il y a quelque chose d’irréel à observer ces trois hommes, à finalement constater leur banalité, après s’être tant préparés à les voir marcher jusqu’à nous.
Ce temps arraché a permis de consolider une évidence désormais commune à tous les opposants : nous devons bloquer cette procédure. Le dialogue de sourds avec les chefs de projet, leur arrogance, leur mépris, tout cela a donné au mouvement une grande clairvoyance quant à ce que représente cette pseudo-consultation : un pas de plus vers les expropriations et la construction de l’infrastructure. La décision, in fine, reste entre les mains du préfet, il ne s’agit en rien d’écouter les habitants, la messe est déjà dite. Tout le monde s’est donc accordé sur le blocage, et même si la mairie - élue sur un programme d’opposition au transformateur - n’a finalement pas fermé ses portes aux commissaires, elle a en revanche ouvert celles de la salle des fêtes aux opposants pour faciliter l’organisation de la journée.

Alors quand le commissaire tente de prendre la parole, l’air presque affable, son mégaphone paraît bien frêle face aux clameurs, slogans et autres « au revoir ! » qui lui répondent. Mais il s’acharne, hausse le ton derrière son ridicule entonnoir, entouré de ses deux acolytes qui ne sourient plus. Nous qui savons sans l’entendre ce qu’il veut nous dire, de quelle prétendue neutralité il voudrait qu’on se repaisse, ne désarmons pas : « C’est à Saint-Victor qu’on gueule le plus fort ! » L’ambiance se fait potache, on s’enhardit à sortir du château-fort, les pressant sur plusieurs centaines de mètres jusqu’à leur jolie voiture. Ces trois-là voudraient garder la face, ils s’arrêtent pour discuter ensemble devant le véhicule, comme lorsque l’on sort d’un restaurant et que l’on est un peu en avance. Comme lorsque l’on est bien à l’aise et repu. La lourde alarme d’un mégaphone à quelques centimètres de leurs oreilles finit de les convaincre qu’ils ne sont pas les bienvenus, ici. Une haie de déshonneur enserre le départ de leur automobile. « Ne reviens pas ! Ne reviens pas ! » sera la seule notification qu’ils consigneront au village de Saint-Victor.

Nous regardons l’horloge : 14h30. Il n’a pas fallu une demi-heure pour que nous les repoussions. Chacun, incrédule, vérifie l’heure à sa montre. Le temps s’étire parfois, lorsque ensemble on se sent forts. Nous revenons vers la mairie où nous tenons assemblée ; la décision est rapide : nous les bloquerons chaque fois qu’ils viendront, et leur dossier menteur ne restera pas en mairie. Une chaîne humaine se met en place, et les données techniques de RTE passent de main en main jusqu’au brasero qui fume à côté de quelques brebis venues elles aussi participer au blocage. Puis c’est au tour de la maquette de promotion figurant le transformateur d’aller prendre un peu l’air. Quelques dents grincent quand, jeté à terre, le plexiglas se brise. La peur de passer pour des voyous est forte, et le débat s’anime autour de cette plaque de plâtre gisant sur le bitume : a-t-on bien fait ? Notre geste donnera-t-il une mauvaise image de cette journée ? Tandis que le ton monte quelque peu, certains yeux s’attardent sur l’objet : « Mais regardez ! Les salauds ! » Les honnêtes publicistes ont en effet omis de faire figurer sur leur plan le hameau d’Ayres, où vivent les plus proches voisins de l’infrastructure promise. Et leur transformateur, censé être trois fois plus grand que celui du Planol, déjà en activité sur la commune, semble occuper ici la même emprise. Le débat change de tournure, et l’on s’interroge : faut-il enterrer l’objet comme l’on voudrait le faire du projet, ou le détourner en enlevant le transformateur de plastique pour y tracer les chemins de randonnée de la commune ? Las, quelques bras emportent simplement la maquette jusqu’aux poubelles du village.

Les habitants de Saint-Victor n’étaient pas seuls ce mardi à résister, il y avait avec eux toutes celles et ceux qui refusent que l’on transforme leur territoire en une stérile zone industrielle de production électrique. RTE, comme au Chefresne, comme dans les Hautes-Alpes, entend passer outre, avec violence s’il le faut, l’opposition des habitants à ses projets de bétonnage, à ses THT cancérigènes, afin de boursicoter à qui mieux mieux sur le marché international de l’énergie. Nous nous tenons face à eux, petit imprévu dans leurs juteuses projections, et le clamons haut et fort : la seule énergie dont nous avons aujourd’hui besoin est celle qui nous aidera à les chasser d’ici.

C’est pourquoi nous bloquerons toutes les visites des commissaires enquêteurs. La prochaine est prévue ce jeudi 16 novembre, à 12h30 à la mairie des Costes-Gozon, la suivante le 2 décembre à Saint-Victor.

Nous invitons très largement à venir participer à cette journée du 2 décembre puisque après le blocage du matin, une grande marche contre RTE se déroulera l’après-midi dans la ville de Saint-Affrique. Nous avons besoin de vous tous à cette occasion, programme et affiche seront disponibles sous peu. À suivre...

P.-S.

Plus d’informations : https://douze.noblogs.org

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