Les problèmes des banlieues ont déserté des écrans. Une vision sécuritaire prime sur le réalisme froid. Karim Dridi, réalisateur de Chouf, évoque son film, le cinéma et la société au cours de son passage à Montpellier. « La réalité est beaucoup plus forte que la fiction », estime le réalisateur.
Cinéma et société
« Le film que j’aimerais voir au cinéma, je ne le vois pas », lance le réalisateur. Il décide alors de créer un film de gangsters sur le trafic de drogue dans les quartiers Nord de Marseille. Mais il ne veut pas se contenter d’un simple documentaire. Il veut se plonger dans le polar noir, réaliste et tragique. « J’avais avant tout une envie de faire du cinéma. Je ne voulais pas faire un documentaire mais aussi filmer de la drogue et des exécutions », décrit Karim Dridi.
Le cinéaste évoque ses multiples références. « On peut imaginer un croisement entre Ken Loach, Scorsese et Cassavetes », indique Karim Dridi. Son film emprunte autant aux codes virils du film de gangsters et à sa tragédie urbaine, qu’au cinéma social et réaliste. « Le cinéma est un outil d’expression politique, et pas l’inverse », précise Karim Dridi. Les films peuvent permettre de proposer un regard critique sur la société. Mais lorsque la volonté politique prime sur le désir artistique, il arrive parfois de sombrer dans la propagande. « Je veux joindre l’utile du débat de société avec l’agréable des codes du thriller. J’aime les films de gangsters », souligne Karim Dridi.
Tournage au cœur des quartiers Nord
Il revient également sur les conditions du tournage. « C’est le premier film français tourné à 100% dans un quartier », annonce Karim Dridi. Les quelques cinéastes qui filment les quartiers privilégient d’habitude les déserts urbains, avec tours abandonnées. Ils ne veulent pas de problèmes avec des habitants. « Je préfère tourner avec des jeunes qui sont prêts de cette réalité, qui ont des amis et des proches qui sont morts à cause du trafic », insiste Karim Dridi. Les acteurs sont donc issus des quartiers populaires. Par souci de véracité ? Il est certain que leur vécu et leurs anecdotes nourrissent le film et permettent de ne pas tomber dans la caricature.
Le réalisateur a également été guidé par des associations de femmes dont les enfants ont été tués au cours de règlements de compte. Elles développent un regard critique sur cette situation sociale, mais subissent régulièrement l’isolement et la marginalisation. « Elles sont prises en étau entre la police qui les humilie, avec des contrôles d’identité à répétition, et les chefs de réseaux », décrit Karim Dridi. Son film rend hommage au combat de ces femmes et adopte leur vision de la société.
Regard critique
Le réalisateur refuse le conformisme contemporain du regard policier. Selon lui, les reportages, films et séries actuels ne cessent de se placer du côté de la police et glorifier son action. « C’est tellement plus simple d’être du côté de la police. Ils ont un service de communication et c’est très facile de les filmer pour en donner une image positive », déplore Karim Dridi. Son film évoque les pratiques de la Brigade anti-criminalité (BAC). Ces flics en civil se comportent comme de vrais cow-boys, un véritable gang patrouillant pour garder le contrôle de son territoire. Surtout, la BAC de Marseille, connue pour racketter les petits dealers de quartiers. Ce scandale judiciaire a été confirmé par les rencontres du réalisateur. « Un jeune a même dû rester dans le réseau parce qu’il a dû rembourser un caïd après s’être fait volé sa marchandise par les flics », explique Karim Dridi.
Son film décrypte le fonctionnement du trafic de drogue, sans le moindre regard complaisant sur les truands. « C’est du capitalisme sauvage dans toute sa splendeur. Les dealers sont des ouvriers que l’on peut punir et même tuer. C’est le règne de la loi du plus fort », analyse Karim Dridi. Il refuse dès lors d’adopter un regard esthétique sur la violence et privilégie la tension, l’ambiance pesante aux geysers ensanglantés . « Je n’aime pas les films avec une fascination pour la violence. Mais j’aime bien la tension que crée la violence, le choc. La violence est brutale, sans hémoglobine », précise t-il.
Le réalisateur évoque la réception du film. Un temps, c’est plutôt l’appréhension qui a prédominé. L’équipe du film prend le risque de présenter Chouf dans les quartiers populaires. Un mauvais accueil aurait effectivement torpillé la promotion du film. « Mais ça s’est plus que bien passé. On a assisté à la prise de parole de jeunes qui n’ont pas l’habitude des débats », rassure Dridi. Le cinéma permet de jeter un regard critique sur ses propres conditions de vie. « On ne discute plus de cinéma, mais de problèmes de société ».
Moralisme et dépolitisation
Mais le cinéaste dérive rapidement quand il se fait moraliste. Il préfère dénoncer l’illégalité plutôt que la misère et l’exploitation que subissent les fameux quartiers populaires. Son regard se veut également sombre et pessimiste. « En 20 ans, la réalité est devenue d’une violence incroyable. C’est la merde de plus en plus », s’indigne Karim Dridi. Mais son film ne propose aucune perspective de résistance et de révolte politique. « C’est la résistance du bandit de Jean Genet, du hors-la-loi », se défend il, tout en portant un regard réprobateur sur les émeutes, comme celles de 2005. « Un acte inconscient », estime Dridi. Certes, le réalisateur de Chouf s’indigne des dérives racistes et sécuritaires, mais veille à désamorcer toute possibilité de révolte. Il incarne en partie la dépolitisation du cinéma français.
On est très loin du regard politique et insurrectionnel de Ma 6T va Cracker. Chez Karim Dridi, les jeunes détalent devant la police et ce ne sont pas des voitures mais des cadavres qui brûlent. Il préfère l’impuissance de l’indignation à l’insurrection. C’est sans doute ce qu’il manque pour en faire un véritable film de référence.
Article trouvé sur le webzine Magmaa