Analyse de la manif lycéenne/étudiante du jeudi 14 avril 2016 sur Montpellier

Ce jeudi 14 avril avait lieu une mobilisation lycéenne et étudiante contre la loi travail dans les rues de Montpellier, comme dans plusieurs autres villes de France. On s’y rend à quelques amis. Voilà un compte-rendu subjectif livré un peu en retard, mais qui, nous semble-t-il, peut soulever quelques problématiques intéressantes.

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Départ à la bourre. Alors qu’on voulait rejoindre le cortège lycéen près de Jules Guesde et participer à quelques débrayages de lycées, on se retrouve à courir après la manif pour finalement la retrouver sur l’Esplanade. On est des manchots, mais c’est pas si grave.

Sur la route, on constate que la plupart des magasins sont fermés ou sont en train de fermer. On entends même de la part d’un commerçant : « On doit fermer, c’est la police qui nous a dit qu’il fallait fermer pour la manifestation ».

Apparemment, le Polygone lui aussi a clos ses portes, protégé par une dizaine de voitures de flics. C’est déjà ça : une « grève générale » artificielle et éphémère dans le centre-ville bourgeois de Montpellier et une économie paralysée pendant au moins quelques heures – dont la place principale, symbole de la ville. C’est pas les « manifs unitaires » dont les Services d’Ordre pactisent avec la volaille [1] et dont les « automédias » s’amusent à inventer des « flics-casseurs » [2] qui parviendront à faire ainsi peur à une préfecture...

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Quand on arrive, l’ambiance est déjà tendue. Des baqueux sont postés sur le kiosque de l’esplanade. Sur leurs flancs, grosse ligne de CRS. Les lacrymos fusent ; en face, les lycéen-e-s sont en nombre. En nombre, pour certain-e-s déterminé-e-s, mais pas tellement organisé-e-s, disposé-e-s ici-et-là en vrac sur la grande place, et parfois un peu paniqué-e-s.

Certain-e-s récalcitrant-e-s encore un peu naïf-ve-s restent assis devant la ligne de flics, pour certain-e-s assez protégé-e-s (masque de ski, écharpe, etc.), ou non, mais en tout cas assez coriaces face aux mauvais gaz. On peut les entendre crier des slogans se limitant à la loi travail, ou à d’ambitieux « CRS, avec nous ! ».

Derrière eux se trouve une masse énorme de lycéen-e-s courant un peu en vrac : pour certains près du Corum, pour d’autres disposé-e-s vers le Musée Fabre ou en train de faire du mouvement vers Joffre. Les déplacements sont nombreux et désordonnés, l’action est brouillonne, les baqueux font quelques percées et on peut déjà déceler quelques interpellations. On parle un peu avec des manifestant-e-s, et on nous confirme bien ça : apparemment, la répression est à l’ordre du jour, et devant l’inquiétude que provoquent les lycéen-e-s, il faut frapper fort pour les déchauffer une bonne fois pour toutes. Certain-e-s auraient été arrêté-e-s devant leurs lycées, et les affrontements auraient commencé de la part des forces de l’ordre, bien décidées à faire dégager cette masse informe, imprévisible, qui risquerait de faire du dégât en centre-ville après avoir enflammé quelques poubelles sur les routes de leurs établissements scolaires.

On essaie tant bien que mal de se mêler à l’action. Quelques dizaines de lycéen-e-s tentent encore de riposter face à la police en jetant quelques pierres ; mais rien de construit ne s’organise, et l’autodéfense reste, de fait, inefficace. Les quelques personnes déterminées ont l’air de s’alterner, et aucun groupe massif ne se développe. Face à ça, les flics s’amusent. Les flashballs visent haut, le gaz s’installe aux quatre coins de la place, les baqueux peuvent faire de plus en plus de mouvements. Les lycéen-e-s sont peu préparé-e-s à l’affrontement et à chaque cartouche de lacrymo qui tombe au sol, tout le monde court en arrière sur plusieurs dizaines de mètres.

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L’ambiance est quand même amusante, mais on pense aussi à la répression qui s’installe derrière tout ça, et à tous les manifestant-e-s résolu-e-s qui pourraient se déchauffer face à son œuvre. On se balade un peu, des journalistes font leur travail et interviewent les « jeunes révolté-e-s » sur le modèle de la garde-à-vue, à la recherche de la phrase qui les arrange pour leur article. Pas la peine de s’attarder, on essaie de revenir voir le mouvement en face des flics. Personne n’a l’air décidé à rejoindre les quelques acharné-e-s toujours assis, et l’autodéfense faiblie largement. Au milieu de tout ça, quelques affrontements entre lycéen-e-s eux-mêmes, dont un assez virulent.

Malgré tout ça, l’atmosphère reste intéressante. Ca change des manifs du début de la mobilisation, un rapport de force tenterait-il de s’installer ? Malheureusement, l’impression est plutôt que la répression se fait forte pour ne pas voir un « kyste lycéen parisien » naître dans le Sud, tout en offrant la possibilité aux médias de produire une image effrayante de la manifestation, basée sur le mythe du casseur [3]. Alors ça continue à jouer les émeutiers, à essayer de donner un sens à ce qui se passe là, bien que tout semble assez vain.

On glane quelques infos sur le cortège de Paul Va, qui se serait fait refouler par quelques lacrymos en montant les escaliers de Corum. Ils décident de contourner. Il était temps car on était justement en train de parler du camion de Solidaires et de la banderole étudiante, qui pourraient aider à fédérer toute l’énergie présente.
Malheureusement, les gens mettent du temps à suivre. Beaucoup se dispersent et arrêtent la mobilisation ici. On peut le comprendre étant donné que ça fait déjà depuis 8h du mat’ qu’ils marchent et débrayent les lycées voisins, et qu’il est déjà presque 13 heures…

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Finalement quelques personnes suivent quand même, et on arrive à être pas mal. Mais pas organisé-e-s, peu rassemblé-e-s, et bientôt quelques agents de la BAC tentent une incursion dans le semblant de cortège qui commençait à se former, dans le but de choper quelques personnes. Une banderole renforcée arrive alors derrière, et on démarre la manif sauvage en effectif réduit jusqu’à la Préfecture.

Tout commence bien, l’ambiance semble joyeuse et assez résolue. On monte la rue de la loge, une boule de peinture est lancée sur le McDonald. On se dit que peut-être enfin, avec tous ces lycéen-e-s, nos mobilisations vont prendre une autre forme, imposer un rapport de force efficient qui irait au-delà des grèves non reconductibles décidées par les centrales syndicales et les frustrations étudiantes. Très rapidement on est pourtant confronté à un sale problème : un lycéen a reçu un peu de peinture sur sa veste et sa tête. Il commence alors à s’énerver et à vouloir retrouver le lanceur de peinture. On voit que ça s’échauffe, on s’approche. L’embrouille dure toute la montée de rue de la loge, et un peu après encore, alors qu’une grosse dizaine de personnes ont pourtant essayé d’intervenir.

Ca énerve. On pense aux réflexions qui ont fait suite aux « casseurs de manifestants » pendant les manifs contre le CPE (2006) [4]. Tout ça nous dépasse, et pourtant la seule solution immédiate est le rapport de force, la violence. Sur le coup, le gars lâche pas l’affaire malgré tous les dialogues énervés... On est tous responsables de ce qui arrive, et il faut avouer notre impuissance. La fracture n’est pas nouvelle, et c’est pas nos bonnes consciences qui viendront arranger tout ça. Seul un travail et une prise de recul de long terme pourront venir résoudre la problématique de manière intelligente.

Et là, on pense au MILI (Mouvement Inter-Luttes Indépendant) de Paris. On va pas se risquer à livrer une analyse foireuse, mais il nous paraît (de loin – des pauvres vidéos qu’on voit, de leurs comptes rendus, de ce qu’on a pu entendre ici ou là) que les cortèges « joyeux et déterminés » des lycéen-e-s et étudiant-e-s parisiens ne se sont pas réellement confrontés à ce problème, et ce au moins pour une raison qui nous paraît évidente : ils s’organisent concrètement, ils arrivent offensif-ve-s, intrépides, méchant-e-s et gueulent pourquoi. Leurs cortèges sont dynamiques, on y met de la musique spontanément, on y fait bloc et on se serre, personne ne dicte rien à personne et pourtant l’entraide créée une certaine « discipline » éphémère et non-autoritaire – un ordre acratique se développe viscéralement.

On pense à tout ça, et au fait que les manifestations ne paraissent plus attirantes pour personne depuis longtemps, et que l’imaginaire de lutte qu’on dégage n’est, à priori, pas du tout stimulant pour tout jeune qui ne s’est pas renseigné un minimum… et ça dégoute un peu.

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On pense à tout ça, un peu en vrac, et la manif continue. On déboule sur rue Foch, puis on prend direction Palais de Justice en longeant le Peyrou. Quelques tags sont enfin lâchés, avant de redescendre direction Gambetta. Entre temps, nous ont rejoint les quelques travailleur-euse-s, bien visibles de par la présence du SO-CGT. Celui-ci s’attèle rapidement à tenter d’empêcher tout ralentissement la circulation – pour le bien-être de la population urbaine. L’ambiance se relâche, c’est toujours remuant mais moins déterminé, ça se fatigue un peu aussi. Après un bref détours vers les devants de la gare, on ne tarde pas à rentrer sur la Comédie. Là, on s’assoit quelques instants et puis, en bons manchots fatigués, on décide d’aller manger. La manifestation continue pourtant jusqu’au commissariat soutenir les interpellé-e-s.

Et des interpellations, il y en a eu. On n’est pas beaucoup sur les mobilisations montpelliéraines, en comparaison avec d’autres villes. Ca fait vraiment chier qu’autant de gens puisse finir au poste, et qu’on en soit à se réjouir du fait que les peines ne soient pas du ferme… Les points positifs de la journée sont peu nombreux… Et pourtant, on ne peut pas dire que ce n’était pas intéressant, on voit rarement des mobilisations comme ça sur Montpellier, elles se font de plus en plus fréquentes en ce moment et ça ne peut que nous plaire. La préfecture semble prendre « peur » assez vite comme on a pu le voir avec les fermetures de tous les commerces du centre-ville, dont le Polygone. Mais ça a aussi comme conséquence que la réaction des forces de l’ordre soit assez offensive – sans non plus extrapoler –, et surtout que la mobilisation ne semble pas prête à y faire face.

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Pourtant, le second point positif est qu’on peut voir dans les cortèges de plus en plus de personnes, lycéen-e-s, étudiant-e-s ou non, qui semblent vouloir imposer un certain rapport de force et donner une autre image de nos sorties en ville. Pas mal semblaient sortir équipé-e-s : masque de ski, écharpe conséquente, foulards, boucliers fait maison, gants, lunettes de piscine. Peut-être que la nécessité est maintenant de réfléchir à nos stratégies d’autodéfense, à la mise en commun de nos envies. A ce que, concrètement, l’on veut faire pour être « entreprenant » face à la répression et à ce monde de merde ?

Peut-être que toutes nos banderoles de tête et de derrière se doivent d’être renforcées, peut-être qu’un groupe important pourrait s’organiser en amont et non pas juste se retrouver en manif à l’improviste, sans trop savoir quoi y faire. Peut-être qu’ainsi, les lycéen-e-s énervé-e-s se joindraient plus facilement à nous, ne prendraient plus peur à chaque lacrymo, et qu’on pourrait faire bloc et ainsi véritablement laisser libre cours à notre spontanéité. Je ne suis pas certain que dans un autre contexte – avec plus de slogans sur les murs, avec des sonos multipliées, avec un bloc d’autodéfense collective compact et équipé qui saurait aussi se faire offensif face aux flics, etc. –, l’embrouille de la rue de la loge se soit produite. Pourtant, à chaque fois qu’on fait l’effort de tenir une A.G., personne n’en parle, ça déblatère longuement pour peu de choses, j’ai l’impression que ça s’essouffle ou que peu de gens partagent mon avis et n’ose jamais intervenir. Puis, à chaque manif, je me dis qu’il y a quand même quelque-chose à faire.

Attention à ne pas fétichiser les formes de luttes, à ne pas en oublier l’aspect festif. Et puis, notre motivation ne doit pas se limiter à la « violence » - autodéfense - (ni aux manifs).

Nos marches devraient tout simplement cesser d’être de simples marches, et se décider comme telles. De manières festives, offensives, ce que l’on voudra. On part de loin et la bataille paraît improbable, sinon impossible. Jouons sur l’argument du rapport de force que nous aimerions tous imposer, jouons sur la problématique de l’imaginaire que peuvent stimuler nos luttes, jouons sur la solidarité spontanée qui se mets en place dans ce genre de situations.

Et enfin, créons-en, des putains de situations.

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Ce billet, au-delà d’être un simple compte-rendu d’une journée de mobilisation parmi d’autres, se veux une invitation à d’autres témoignages du même type. On aimerait ouvrir une réflexion sur ce qui se passe en ce moment à Montpellier, et sur ce dont on passe peut-être à côté. On a pas vraiment le temps (ni jusqu’ici, il faut aussi l’avouer, l’envie) de se jeter à fond dans la mobilisation, et on ne fait partie d’aucune « commissions » – très sûrement à notre tord. Du coup notre développement est un peu biaisé, car oui des gens s’organisent déjà en amont. Mais une fois en manif, les personnes déterminées ne semblent pas assez faire bloc ni se montrer unie. On pensait cependant que notre faible implication ne devrait pas nous empêcher de parler, et de donner nos impressions à titres personnels.

Aussi, nous n’avons pas participés aux mobilisations lycéennes du lendemain, et la répression qui a frappé vient confirmer nos impressions.

P.-S.

Les photos sont issues du reportage Midi Libre et de cet article

Notes

[1Cette CGT n’est pas la mienne », sur Paris-luttes infos

[2« Ce que vous faites réellement quand vous accusez les casseurs d’être des policiers », sur Paris-luttes infos

[3La couverture des mobilisations lycéennes par Midi Libre est un assez bon exemple

[4« Sur les casseurs de manifestants » sur Indymedia Nantes


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