Nuit debout sur la Comédie

On ne va pas se mentir, on aime l’atmosphère qui règne cette nuit [9 avril] sur la place de la Comédie, d’ordinaire si insupportablement gentrifiée. Une ambiance assez éloignée de celle des grands soirs, mais d’une beauté inattendue. Lu sur ce blog.

Toujours à Montpellier, toujours sous état d’urgence éternel, 2016.

On ne va pas se mentir, on aime l’atmosphère qui règne cette nuit sur la place de la Comédie, d’ordinaire si insupportablement gentrifiée. Une ambiance assez éloignée de celle des grands soirs, mais d’une beauté inattendue.

Heureux écosystème que cette foule diverse, à l’acné ravageur ou aux cheveux blancs ! Chacun semble ici trouver sa place, et l’on se situe bien au-delà du noyau des militants de toujours. Au sol, de nombreuses commissions disposées en cercles, des gens concentrés, parfois même studieux, stylo dans le bec et calepin sur les genoux, forts d’initiatives aussi nombreuses que prometteuses. Les temps de paroles sont définis, les interventions brèves et efficaces. Il faut dire que l’organisation a de quoi faire pâlir n’importe quel directeur des ressources humaines, avec ou sans chemise. Et le tout sans aucune hiérarchie ! Puis ici, on ne se voile pas la face : l’ennemi est désigné par son nom, le capital, et les régimes occidentaux appelés « démocraties capitalistes » – à ce stade de mépris de la volonté populaire, il convient d’user de précautions langagières quant à l’emploi du mot démocratie, et les guillemets sont de rigueur.

Le travail des commissions achevé, feuilles de conclusions et listes de contacts en mains, c’est une vie bouillonnante et généreuse qui s’épanouit sur place. Un jazz improvisé autour d’un piano, un premier feu, puis un second, des artistes affairés à rénover un téléviseur avec de la peinture, de petites grappes humaines mangeant, buvant et bavardant avec le sourire, quelque chose d’étrange et sympathique flotte dans l’air…

Je croise un ami de longue date, militant anarchiste.

« Quelque chose est en train de naître »,

murmure-t-il. Mot pour mot, j’allais dire la même chose. Il n’est pourtant pas du genre à se laisser éblouir par n’importe quel attroupement nocturne, et moi non plus. Mon Italienne lit dans ses yeux le même étonnement joyeux, emprunt d’une douce émotion. Des sourires, encore. D’autant que le seul drapeau flottant ici est noir. Aucune étiquette politique ou syndicale. Autour d’une table, on s’affaire même à défrontdegauchiser les meilleurs autocollants du Front de Gauche. Ils leurs ont été empruntés. Dans la région, leurs élus sont tellement occupés à gouverner sur une liste alliant socialistes et MEDEF qu’ils ne se sont rendus compte de rien.

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Les rafales de vent se font plus violentes et les cercles plus compacts. Je me rapproche d’un groupe évoquant la question de la violence. Un vieil homme partage son expérience avec la jeunesse :

« Vous savez, jusqu’au 6 juin, on nous appelait terroristes. Le lendemain, on était des résistants. Nous étions même des Résistants avec une majuscule ! Alors ne cessez jamais d’être des casseurs ! Vous êtes les héros des jours qui viennent, mais vous ne le savez pas encore. »

Eternelle sagesse des anciens…

Montpellier, ex-capitale d’une ex-région où le Front national arrive en tête, si paisiblement embourgeoisée dans un pays endormi, ce soir Montpellier semble avoir décidé de ne pas se coucher. Et pour de bonnes raisons. Mais demain, ils vous parleront des hordes de casseurs organisés déferlant sur Paris. Demain, ils vous montreront des graffitis sur les murs, des abribus en feu, des banques ravagées. Demain, ils vous raconteront la sauvagerie musicale d’une meute sous les fenêtres du Prince. Mais ils pourraient bien omettre de vous raconter l’indicible : sur des dizaines de places, de modestes villes aux plus grandes agglomérations de ce pays, des gens se sont rassemblés, se sont parlés et écoutés, et ont trouvé des points d’accord. A Paris, ils ont invité des juristes à les rejoindre pour l’écriture d’une nouvelle Constitution. A Bordeaux, des doléances ont été affichées sur les grilles du palais de justice. Un peu partout, la convergence des luttes s’est organisée. C’est tout de même autre chose que dix hommes en noir autour d’une banque !

Et si cette nuit du 40 mars présageait de prochaines vendanges ?

* * *

« Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. »

(Robert Desnos, Demain)

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