"Aube Dorée" d’Angélique Kourounis à Saint-Pons de Thomières : le débat

Compte-rendu du débat animé par Angélique Kourounis après la projection de son film le 19 janvier à Saint-Pons de Thomières

Compte-renu du débat avec Angélique Kourounis

Une centaine de personnes environ se sont retrouvées vendredi 19 janvier au cinéma de Saint-Pons autour de la projection du film d’Angélique Kourounis « Aube Dorée » et de sa réalisatrice, qui nous avait fait l’honneur de venir nous parler. De son film, du tournage, qui a duré cinq ans, de sa diffusion en Grèce : jamais dans des cinémas, pas non plus sur ERT, la télé publique grecque, qui avait bien trop peur des représailles ; mais via Internet, et puis dans des projections organisées par des collectifs antifas locaux.

En Grèce, le procès d’Aube Dorée

Au gré des questions qui lui étaient posées, Angélique Kourounis nous a parlé, et tout d’abord de la situation actuelle en Grèce. Le 5 septembre 2017 a vu la reprise du procès d’Aube Dorée, un procès engagé depuis mai 2015 à la suite de l’assassinat du rappeur Pavlos Fyssas. Ce procès, selon Loucas Stamellos, cofondateur du site OmniaTV, devrait être considéré comme « le procès le plus important depuis celui des colonels en 1974. C’est la première fois que l’extrême droite est jugée en Grèce, et surtout c’est le seul procès qui examine les relations entre le pouvoir, les institutions et l’extrême droite. » L’objectif de la partie civile y est en effet de parvenir à qualifier Aube Dorée, qui compte 16 députés sur 300 au parlement grec et trois députés européens, non plus de « parti », mais d’ « organisation criminelle », à structure pyramidale et à discipline militaire, où les ordres viennent d’en haut, et sont exécutés par le bas, ce qui permettrait de condamner les dirigeants pour les crimes commis, députés ou pas, et non pas un simple exécutant.

Or, constate Angélique Kourounis, « vous allez dans les rues en Grèce, vous interrogez les gens, ils disent « Ah bon, il continue, le procès ? ». Ce procès avec ses trois séances par semaine n’est pas relayé ni par les médias en Grèce, ni par les correspondants étrangers. Il ne l’est du reste guère plus, du moins au niveau d’un suivi régulier, on peut le constater, dans nos médias antifas. Un seul journal donne tous les jours un compte-rendu, le Journal des rédacteurs, journal dans lequel travaille Dimitris Psarras, l’auteur du livre « La bible noire d’Aube Dorée ». Omnia TV, qui est aussi producteur du film « Aube Dorée », retransmet pour sa part chaque semaine un résumé des séances du tribunal.

Et Aube Dorée, un parti qui au début de la crise grecque en 2010-2011 n’existait pour ainsi dire pas, demeure, malgré assassinat et procès, la troisième force politique du pays. « La présence d’Aube Dorée répond à un besoin politique », analyse Angélique Kourounis.

Mobilisation politique : « Les grecs sont fatigués »

Elle parle aussi des effets de huit ans de vie dans un pays en récession sur la capacité de mobilisation politique de la population. « Le SYRIZA avait promis un futur, le retour du sourire, « le retour du droit à espérer », c’était le slogan. Et puis là, on est avec toutes les lois, tous les mémorandums d’austérité, les baisses des retraites, un détricotage de la Sécurité Sociale – il y a plus de 30% de grecs qui sont sortis du système de santé. /…/ D’ici quelques jours, 15 000 appartements d’Athènes vont être mis en vente, dont la liste est déjà entre les mains des promoteurs, et les gens seront à la rue. Les grecs sont fatigués. 20 000 manifestations, en deux ans, c’est quand même énorme. Ils n’ont pas abandonné. Mais ils ont vu que quoi qu’ils fassent, ils se font toujours avoir. » Résultat : plus de 50% d’abstention – tandis que les partisans d’Aube Dorée votent tous (pas étonnant : c’est bien une forme de « droit à espérer » qu’Aube Dorée leur vend dans ses slogans.) Pour les très engagés à gauche, l’abstention marque le refus de la politique antisociale menée par le SYRIZA. Mais cela laisse le champ libre tant à Aube Dorée qu’aux deux partis en place, qui jouent de celui-ci comme repoussoir.

Mais la lassitude se marque aussi ailleurs : ainsi, la manifestation destinée à commémorer l’assassinat de Pavlos Fyssas n’a réuni que 30 000 personnes ; ainsi aux audiences du procès il y a régulièrement davantage d’aubedoriens que de protestataires ; ainsi la projection du film réunit difficilement à chaque fois plus de 100 personnes.

Des initiatives de solidarité

La mobilisation sociale, par contre, est très active, et les initiatives sont légion : mouvement des pommes de terre, où les agriculteurs viennent directement vendre leurs produits, banques du temps (SEL), troc, magasins de vêtements de seconde main, dispensaires avec médecins bénévoles, repas partagés de Kostas … Aube Dorée, qui s’est conquis les foules par des distributions de vivres, est loin d’être le seul. Mais ça a toutefois ses limites.

International : « La bataille contre l’extrême droite, pour les cinq ans à venir, on l’a déjà perdue. »

« Comment les combattre ? Est-ce qu’on peut les combattre ? Comment est-ce qu’on peut barrer la route ? Est-ce qu’on peut ? Légalement ? Politiquement ? Armes à la main ? Par la solidarité ? » C’est, nous dit Angélique Kourounis, la question qui fait l’objet de son prochain film. Mais aussi : est-ce seulement un problème grec ? « Maintenant, il n’y a pas un parlement européen où il n’y ait pas d’extrême droite, sans parler de Trump aux Etats-Unis ; l’Autriche fait une coalition avec l’extrême droite. Et chez ceux qui n’ont pas d’extrême droite au parlement, on vote par défaut pour que l’extrême droite n’y entre pas – c’est ce qui s’est passé en France. /…/ Il y a des gens, notamment la partie civile et les avocats, qui pensent que le procès va mettre fin à Aube Dorée. Moi, je suis ce procès, pour mon deuxième film, et je n’en suis pas convaincue. »

Et : « On se dit « Ca pourrait être pire. » Notre politique est de limiter les dégâts. Mais si on se met dans la politique de limiter les dégâts, les dégâts ne seront que limités, mais ils seront là. Quand j’ai commencé le film, il n’y avait aucun parti d’extrême droite dans les parlements européens. Maintenant, Angela Merkel, perd, non pas sur sa gauche, mais sur l’extrême droite. On est en train de se dire « Marine Le Pen n’a fait que 14%, et encore, avec beaucoup d’abstentions, elle n’a pas gagné de ville, et son parti part en sucette ». Mais, à part le Portugal, y a-t-il un pays où la gauche l’ait emporté ?/…/ Dira-t-on « Macron a gagné, la France démocratique a gagné » ? Car quelle est la politique qu’il applique ? Je vis dans un pays où la politique libérale amène Aube Dorée. Ici, on ne vote pas Aube Dorée, mais on vote pour un parti, qui pour ratisser large, va appliquer concernant les migrants une politique qui… – ce n’est pas Marine Le Pen qui a donné ordre à la police de déchirer les tentes et les couvertures des migrants, c’est la politique de Macron. Il faut être clair : on prend des partis qui deviennent des partis cache-sexe de l’extrême droite, et la politique, par exemple en matière migratoire est une politique d’extrême droite. » Et elle ajoute : « Ce film est né d’une interrogation, qui par la suite est devenue une peur. Et je pense que le plus tôt on aura réalisé que nous sommes dans une dynamique de l’extrême droite et que nous avons perdu cette bataille, le mieux ce sera. Parce qu’à ce moment-là on pourra réfléchir à comment riposter. »

Quels enseignements pour ce qui se passe ici ? Comment lutter ?

Peut-on considérer, comme le suggère l’un des participants, la Grèce comme « le laboratoire de ce qui va se passer en Europe », que « ce qui s’y passe est, en puissance dix et avec quelques années d’avance, ce qui se passe en France » ?
« Je crois, répond Angélique Kourounis, qu’on ne peut pas comparer France et Grèce, parce que la crise économique en Grèce, le passé historique de la Grèce, le manque d’institutions et de société civile de la Grèce, font qu’un parti comme Aube Dorée, qui est un parti nazi, n’aurait pas pu exister en France ».

De fait, un autre intervenant le souligne, le cas est peut-être différent selon que, comme en Grèce, c’est le même parti nazi qui siège au parlement et assassine dans les rues, ou que, comme en Suède ou en France, l’extrême droite marche sur deux pattes, le FN d’un côté pour la scène politique publique, et des nazillons identitaires comme ceux du groupe Brigandes-Ligue du Midi de l’autre. Les moyens de combattre le fléau peuvent aussi s’en avérer différents.

Toutefois, ce que nous disait Angélique Kourounis nous parlait, et pas que de la Grèce. La lassitude extrême de la population, la manière dont les slogans d’Aube Dorée avaient « pris », nous pouvions les reconnaître.

Et nous qui comme elle considérons que quand c’est une lutte contre le fascisme qu’on mène, elle ne saurait être le fait d’une poignée d’antifas, qu’il y faut une bonne partie de la population, nous voudrions en tirer la leçon. Car c’est bien à une forme identique de retrait du politique que nous nous heurtons chaque fois que nous tentons d’expliquer autour de nous – à des gens pourtant moins au bout du rouleau que les grecs - que l’entreprise Brigandes/Ligue du Midi représente quelque chose de dangereux, quelque chose à combattre, ou bien de tenter de les persuader que voter Le Pen n’est qu’une fausse solution. Comme si – mais l’idée ne m’en est venue qu’après avoir entendu Angélique Kourounis – la montée en puissance de l’extrême droite, qu’accompagne la régression des droits humains les plus élémentaires, était quelque chose auquel on ne pouvait réagir, pour le plus grand nombre, déjà fort habitué à subir, que comme on le fait pour « le progrès » et ses effets collatéraux : une acceptation résignée. Comment combattre cela ?

Pour ceux que ça intéresse, on a fait une transcription complète de l’ensemble du débat, ça fait 19 pages. Si vous nous écrivez à collectifdesantifascistesdeshautscantons@orange.fr, on se fera un plaisir de vous faire passer ça, c’est intéressant.

Le Collectif des antifascistes des Hauts Cantons


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