Du confinement à l’enfermement administratif

Quelques notes à propos de la quarantaine comme mode de gestion de la pandémie. Texte paru sur le blog Aux enfermés du confinement

Il s’agit ici de mieux comprendre le statut de la quarantaine telle qu’elle est proposée pour l’après-confinement en France, en lien avec les politiques visant à maintenir à l’écart une partie de la population, qui se pratiquent en ce moment sous des formes diverses à peu près partout dans le monde. Si on y tente un rapprochement raisonné entre la quarantaine et une forme d’enfermement administratif, ce n’est pas pour opérer une comparaison vaseuses entre le sort actuel et futur des infectés depuis le début de la crise actuelle et celui des sans-papiers en instance d’expulsion en temps « normal », mais parce qu’il nous semble qu’il y a, à certains égards, et à ces égards là seulement (l’enfermement de la quarantaine ne se déroule pas dans un lieu carcéral et ne se conclut pas par une expulsion, ce qui change beaucoup de choses…), des formes communes de gestion administrative, qui viennent s’ajouter aux formes communes de contrôle et d’exploitation.

La logique générale qui semble présider au déconfinement tel qu’il est annoncé pour l’instant en France semble être d’installer une « vie avec le virus », « vie » entendue comme une certaine normalité, du moins un retour au travail et à la circulation économique, qui marque la fin de la période de confinement généralisé tout en instaurant des mesures pour tenter d’éviter une nouvelle vague de contaminations. Si ce déconfinement est nécessaire, c’est avant tout pour des raisons économiques : il faut faire tourner à nouveau la machine à plein régime et remettre le plus possible le pays, et surtout ses habitants, au travail. Ce déconfinement est risqué et tous les experts gestionnaires qui décident de ce qu’il advient de nous en ce moment le savent. Faute de vaccin ou de médicament contre le virus, il faut donc prévoir un mode de gestion de l’épidémie en flux tendu pendant que la vie reprend. Ainsi une partie des mesures annoncées concerne la mise en quarantaine de certaines catégories de la population, qu’on peut résumer en trois cas, traités différemment sur le plan juridique, même s’ils ont des points communs :

  • les personnes infectées sur le territoire doivent respecter une quarantaine de 15 jours, qu’elles ont le choix de passer chez elles (toutes les personnes de leur domicile seront alors soumis au même régime d’enfermement) ou dans une chambre d’un hôtel affecté à cet usage.
  • les personnes arrivant sur le territoire, à l’exception de ceux et celles, quelle que soit leur nationalité, qui viennent de l’Union européenne, de la zone Schengen ou du Royaume-Uni doivent, quel que soit leur état de santé, respecter une quarantaine d’au moins quinze jours dans les mêmes conditions que le cas précédent
  • les personnes arrivant de l’étranger positives au Covid sont, quant à elles, placées à l’isolement pour une durée d’au moins quinze jours.

Pour toutes les personnes arrivant en France, infectées ou non, le non respect du confinement ou de l’isolement sera soumis à des sanctions qui ne sont pas encore précisées. Leur mise à l’écart peut se prolonger au delà de quinze jours, mais dans ce cas le juge des libertés et de la détention (JLD) sera saisi. Cette juridiction peut par ailleurs être saisie par les personnes elles-mêmes dès le début du confinement ou de l’isolement. La possibilité de l’intervention du JLD peut paraître incongrue dans ce contexte, or elle n’est que le signe que ces modalités de quarantaine sont en fait des formes d’enfermement administratif, même si, contrairement à la rétention des migrants, elles ne se font pas dans des centres de rétention.

Pour la quarantaine réservée aux malades à l’intérieur du territoire et à leurs proches, pas de sanction prévue en cas de non-respect, mais c’est pourtant le même type de dispositif qui se profile, enveloppé dans un discours lénifiant autour de la confiance des dirigeants à l’égard du bon peuple de France, « générosité » qui permet de masquer les aspects inquiétants de cet enfermement là. . D’ailleurs cette « confiance » magnanime ne va pas sans sous-entendus du type : si ces quarantaines ne sont pas strictement respectées, les sanctions viendront et le dispositif se durcira. Dans l’avant projet, le gouvernement envisageait une quarantaine contrainte pour les personnes infectées par le coronavirus qui refuseraient « de manière réitérée » les prescriptions médicales d’isolement et qui produiraient « par leur comportement un risque d’infection d’autres personnes ». D’une certaine manière tout est prêt pour que ces dispositions soient mises en place si les malades ne sont pas « raisonnables » et ne s’enferment pas convenablement d’eux-mêmes. Le dispositif Covisan, constitué de brigades allant au domicile de ceux et celles qui se trouvent identifiés comme contacts d’une personne infectée pour les tester puis les mettre en quarantaine en attendant le résultat, complète le tableau inquiétant d’une traque aux infectés pour les écarter manu militari, eux et ceux avec lesquels ils ont été en contact, de toute circulation commune avec le reste de la population.

L’enfermement administratif, qui est principalement utilisé de nos jours pour emprisonner les sans papiers en attente d’expulsion, est un mode d’enfermement bien particulier. Si les centres de rétention sont bien des prisons à presque tous les égards, le statut des personnes qui y sont enfermées est bien différent du statut des détenus incarcérés, dans la mesure où c’est l’administration seule, donc la préfecture, qui décide de cet enfermement, qui se justifie par un statut de la personne et non par tel ou tel acte incriminé. L’administratif est donc cet endroit où la justice de la démocratie ne se vante même plus d’offrir un “procès équitable à charge et à décharge”. Les décisions sont prises par des flics et des procureurs et validé par des juges qui tamponnent à la chaîne des sentences qui bouleverseront à jamais des individus, en les enfermant, les expulsant du territoire, de leurs logements, c’est la justice d’abattage la plus effective qui soit dans le cadre démocratique. Là où le judiciaire menace de son épée et de sa balance drapé dans le Bien, le Mal pour départager le Coupable de l’Innocent, l’administratif est l’outil adéquat de la gestion à grande échelle.

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