Je crois que l’image qui m’a le plus marqué dans les manifestations grecques a été filmée le 5 octobre 2011. Ce jour-là, des manifestants refluent face à une charge de la police en moto, connue pour sa brutalité et sa haine. Soudain l’un des motards se vautre. Il reçoit un cocktail molotov en pleine tête. Le prédateur devient proie. Et la foule hurle : "Brûle, salopard ! Brûle !"

Face à cette image, comme face aux violences policières, il n’y a pas de faux-semblant possible : soit l’on s’enthousiasme, soit l’on condamne - c’est presque de l’ordre du réflexe à ce niveau d’intensité.

Et que voit-on avec le mouvement des "gilets jaunes" ? D’un côté, des manifestants sont condamnés pour avoir eu l’intention de jeter une pierre ou simplement parce qu’ils sont suspects d’avoir voulu participer à une manifestation. Les flics les présentent comme des gens fous dangereux, prêts à tuer, et chialent sur leurs bobos en demandant beaucoup d’argent. Les magistrats condamnent, les politiques exultent, les éditorialistes jouent du violon sur l’air de la "République menacée par les casseurs".

D’un autre côté, des gens sont vraiment blessés, perdent un œil, une main, sont tabassés, menacés, insultés, détenus arbitrairement, fichés. La police dit qu’elle a tout fait dans les règles et que rien ne permet d’affirmer que ces faits sont réels. Les magistrats approuvent, les politiques et les médias regardent ailleurs.

Le gouffre entre ces deux situations est appelée par les journaleux "le sentiment d’injustice". Ce n’est pas un sentiment, c’est un constat. Et le dispositif politico-médiatico-judiciaire qui justifie toutes les injustices, qui couvre tous les crimes répressifs, commence à salement se fissurer.