Lutter dans les Hauts-Cantons

Quel est le point commun entre un presqu’élu de gauche (proche France Insoumise) et un militant d’extrême-droite ? le confusionnisme.

Pierre Blondeau - Rodolphe Crevelle : confusionnisme un cas d’école.

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Dans les Hauts-Cantons, là- haut au nord de l’Hérault, dans la montagne, on a des drôles d’élus. Chez ceux-ci, le plus souvent du modèle aparatchik socialiste, le multi-casquettes est de règle, et, ce qui va avec, bien sûr, des habitudes ancrées de clientélisme. Une seule et même personne est à la fois député de sa circonscription, maire (ou adjoint) de sa commune, président de sa Communauté de communes, Conseiller général de son canton, président du conseil départemental, président de l’association des maires du département, et président du Parc régional. Un autre, simple conseiller municipal, sera président de sa Communauté de communes, et président de l’Association départementale des Communes forestières de l’Hérault. Chacun siège également bien entendu dans tous les C.A. des associations subventionnées par l’une quelconque des instances à laquelle il appartient.

D’où la constitution d’un pouvoir quasi féodal : tout service accordé par l’une des instances, municipalité, communauté de communes, département, région, ne sera accordée qu’à titre de faveur, faveur qui obligera éternellement qui l’a reçue. Et il peut s’agir du service le plus ordinaire : l’accès à un document, le raccordement en eau potable, un permis de construire pour retaper une toiture – et à fortiori lorsque le service relève de la fonction redistributrice de ces institutions : un droit d’usage de terres ou bois communaux, une subvention pour une association, etc. Inversement, tout refus d’allégeance, tout engagement dans une lutte qui peut amener à s’opposer à l’une de ces institutions, ou même à l’un de ses membres, se trouve immédiatement sanctionné. Et c’est quelque chose qui ne peut que mal s’imaginer de la ville. Ce n’est qu’à s’immerger dans notre ruralité, faite d’interconnaissances, qu’on peut prendre la mesure du quadrillage opéré par le pouvoir des élus. L’exercice qu’ils font de ce pouvoir y est infiniment plus puissant et totalitaire que tout ce qu’on peut vivre en ville.

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Paysage des Hauts-Cantons

Depuis le temps – car nos élus sont souvent des réélus, et ce sont parfois de véritables dynasties familiales qui se fondent ainsi -, avec le temps, donc, chacun chez nous sait cela, chacun a intériorisé les règles qu’impose un pouvoir aussi exorbitant, chacun sait que les règles de l’élémentaire prudence l’enjoignent à observer jusqu’à un devoir de réserve vis-à-vis des élus. Ça ne rend pas la lutte facile. Le prix payé à s’opposer est lourd dans les Hauts-Cantons. C’est le plus souvent celui d’un simple retrait, d’un isolement social : car qui s’exposerait à risquer d’être vu en votre compagnie ?

Mais l’opposition peut souffrir aussi, autrement. Ainsi, Pierre Blondeau. Pierre Blondeau le buraliste libraire jovial de La Cigale, le héros de « La Cigale le Corbeau et les Poulets », d’Olivier Azam . Pierre Blondeau d’Attac-Bds-Hurlevent-Notre-Dame-des Landes-Sivens-Secours Populaire-Cellule Jacques Roux du PC-LDH -Ensemble 34-DAL (Pour la liste complète, voir l’article « Pierre Blondeau », dans Wikipédia).

Pierre Blondeau « relais informel » (comprendre, comme pour le reste : passage obligé ) pour les deux syndicats Sud et Solidaires, relais auto-proclamé également d’Alternative Libertaire. « Je suis le relais, s’il y a des gens qui veulent contacter l’un ou l’autre, ils viennent ici », dit-il. Pour cela comme pour le reste, d’ailleurs. Car, depuis quinze ans, il est bien difficile dans les Hauts-Cantons de mener la moindre lutte, fut-ce contre l’implantation d’une exploitation de gaz de schiste, sans voir rapidement voler à votre rescousse, « scouts de France-toujours-prêts », Pierre Blondeau et ses petits camarades. Vous devrez dès lors vous attendre à ce qu’il ne soit plus d’action qui ne soit accompagnée d’un déploiement des gendarmes, avec lesquels Pierre Blondeau, ancien parachutiste et ancien agent de sécurité, fraternisera bruyamment. Ça non plus, ça ne rend pas la lutte facile.

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Paysage des Hauts-Cantons

Mais il y a aussi Pierre Blondeau candidat électoral. Pierre Blondeau qui n’a su s’opposer au pouvoir en place qu’en se dialectisant dramatiquement avec lui, donc en s’identifiant à lui sur le plan de ses méthodes. Candidat malheureux certes jusqu’ici, mais qui sait ?

Alors, lorsqu’on cherche à être élu, dans les Hauts-Cantons, qu’est-ce qu’on fait ? Et bien, on fait comme le concurrent. On multiplie les casquettes, on se crée une cour d’obligés qui vous soutiendront le moment venu, comme une vraie petite troupe. Pour cela, on va ravitailler les Zad de Notre-Dame des Landes et Sivens, on en implante quelques-unes même, avec l’aide des évacués de Sivens, sur deux sites proches menacés de méga-éolien. On ouvre une antenne du Secours Populaire qui, hebdomadairement, distribue à cinquante familles nécessiteuses et reconnaissantes les vivres que sinon il leur faudrait aller quérir à Béziers. A force, on se constitue ainsi une véritable petite armée de supporters, qui viendront défiler derrière vous le premier mai. C’est désormais le nombre, suffrages obligent, qui compte bien davantage que la nature de l’engagement.

(...) réserver le terme « confusionnisme » à une stratégie menée par l’extrême droite lorsqu’elle cherche à draguer à gauche.

Dès lors, comment ne pas se précipiter sur la proposition de son vieil et fidèle ami Rodolphe Crevelle, alias Marc Dorcet, [1] lorsque celui-ci, en 2016, a la lumineuse idée d’une alliance destinée à promotionner aux présidentielles 2017 la candidature de Hugues Aufray sous la forme de la « Candidature indépendante de la France Invisible » (on appréciera le « FI » commun à cette formation et à la « France Insoumise » de Mélenchon, dont Blondeau était jusqu’ici le soutien et se voulait le candidat) ? Rodolphe Crevelle qui, depuis 2007 et son journal La Semaine de l’Hérault, n’a cessé de vous couvrir d’éloges ? Qui ne vous a pas ménagé son soutien, lorsqu’en 2009, les gendarmes vous ont emmené en garde à vue ? Qui a consacré plusieurs pages du n° 2 de sa revue Paris Zone de Combat à votre interview et votre profession de foi ? Dont les productions écrites sont de toutes façons exposées en vente dans votre tabac-librairie au vu de tous ?

C’est décidé : le Cercle des Gens de Peu contactera le chanteur, auprès duquel il pourra se targuer d’une présence gauchiste. Pierre Blondeau sera le directeur de campagne, et se chargera de récolter auprès des maires de son département les 500 signatures nécessaires à la candidature. « Franchement, peu nous importe si Hugues Aufray est de droite à 20% ou de gauche à 80%. Ce que nous savons, c’est qu’il est un homme loyal et sain/…/ », écrit Pierre Blondeau dans la plaquette qu’il leur distribue. Le programme, qui fait quarante pages et que nous n’avons malheureusement pas pu consulter, il le dit rédigé par lui seul. Ce programme ne prévoit-il pas, d’après ce qui en est exposé dans la plaquette

1) une autarcie énergétique française, fondée sur la production d’éthanol de topinambour ;
2) de mettre fin à la Vème République, avec un licenciement général et immédiat de toute la classe politique, à l’exception des maires « qui doivent continuer à constituer le socle puissant d’une démocratie locale enracinée. »
3) de convoquer des Etats Généraux populaires, avec pour visée pour la suite, ce « gouvernement » Hugues Aufray s’annonçant comme provisoire, l’élection des représentants nationaux par tirage au sort ;
4) la « défense « de classe » de la France périphérique et rurale contre le mépris des élites, mais aussi contre les violences sociales entraînées par la métropolisation, la virtualisation des guichets et la numérisation générale, ces nouvelles tyrannies mutantes anti-pauvres et anti-hommes » - les citations sont empruntées à la plaquette distribuée aux maires
5) la défense des animaux ?

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Paysage des Hauts-Cantons

Tout ce qu’il faut pour séduire un Hugues Aufray vieillissant. Quelques séjours communs aux trois compères à partir de juillet 2016 à Notre-Dame-Des-Landes, où Pierre Blondeau a ses entrées, et a introduit Hugues Aufray, et, on peut le craindre, également Crevelle, parachèveront le travail.

Sauf que ce programme n’est pas sans présenter maints points de convergence avec celui qu’avait élaboré en 2016 en vue des mêmes élections présidentielles 2017 Rodolphe Crevelle, programme pour le coup signé d’une mystérieuse Organisation Georges Bernanos, et véritable chef-d’œuvre de confusionnisme [2].

Certes, ce programme, en sus des mesures version Hugues Aufray, qu’on retrouve dans ses articles 1,2,7,8,10, et 31, proposait aussi entre autres douceurs, la suppression de la loi Taubira (article 26), la déportation en Guyane avec assignation à résidence de tous les « mutants » suspects de terrorisme, renommés « musrats » (article 14), ou encore le regroupement et la relégation sur quelques départements constitués en Etat libre d’Eurabie de tous les « indigènes de la République » issus à quelque degré de l’immigration (Annexe 5) . Certes on peut y relever des considérations comme « Ah, si Pierre Poujade avait été suivi dans ses intuitions anthropologiques ! Comme le poujadisme de 1953 fut grand avant de se parlementariser ! Comme son combat héroïque fut, en réalité, pionnier et fécond ! » (article 23 )

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Paysage des Hauts-Cantons

Ou encore, dans le cadre des articles 20 « Remplacer le collège par deux classes primaires supplémentaires » et 21 « Par le travail précoce, (autorisation de travail abaissée à 13 ans) sortir notre jeunesse mutante de son intense désastre culturel et moral », volets visant tous deux à supprimer le collège, à en intégrer deux classes au primaire, puis ensuite, apprentissage obligatoire de cinq ans : « Le collège de la république est devenu au fil du temps le lieu de fermentation anthropologique de l’acculturation. La permissivité, le relâchement des professeurs, la mixité démangée par le laisser-aller sexuel, le détournement des programmes vers la construction d’un « citoyen du monde », les méthodes pédagogiques loufoques, la pénétration du corps professoral par des sectes idéologiques essentiellement vouées à déconstruire, tout cela aura créé en quelques décennies une intense fabrique à crétins mutants. Lieu de triomphe des gangs racistes, de la propagande islamiste et de la paresse récompensée, le Collège de la république ne sait même plus interdire à une ado de 12 ans de montrer savamment aux professeurs qu’elle porte un string sous son taille-basse.  ». L’apprentissage « obligatoire à la sortie de la « nouvelle école primaire allongée » et cela durant cinq années formant les enfants à l’âge où leur caractère n’est pas entré en rébellion contre l’autorité et l’adulte, l’apprentissage donnera simplement le goût et l’habitude précoce du travail. » Et à l’école, article 29, « l’enseignement de l’histoire s’effectuera par le visionnage en classe des conférences vidéos d’Henri Guillemin, Alain Decaux, et Marion Sigaut. Cet enseignement par vidéo, sera agrémenté de projections de « la caméra explore le Temps ». Plus aucun prof déconstructeur ne pourra alors dénaturer l’histoire à sa sauce. »

Il y en a un certain nombre comme cela, ainsi en annexe 3 la suppression des partis non républicains, illustrée d’une carte des seuls partis propres à être maintenus qui pourrait sans grand effort servir ici d’illustration à une carte de l’extrême droite en France.

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Paysage des Hauts-Cantons

Encore tous ces articles sont-ils savamment entrelardés de beaucoup d’autres, bien propres à attirer le chaland vaguement mélenchoniste ou qui se croit libertaire. Article 28, droit au refus des vaccins ; article 33, solidarité avec les migrants ; article 34, « cesser le mensonge de la croissance », et promotion des circuits courts ; article 40, comme Benoît Hamon pour le coup, établissement d’un Revenu Universel de Base ; articles 47 et 48, reconversion des ZAC en AMAP et développement d’une agriculture urbaine menant à terme à l’auto-suffisance des villes. Et bien d’autres encore.

Dès lors, qu’importe. Et Blondeau, Hissez Haut, de s’embarquer. Et puis, « on n’est pas sectaires, dans le coin » - c’est ce qu’il claironnera le 3 janvier 2017 au journaliste de Marianne, venu le questionner sur cette étonnante alliance. [3] ». Il aura récolté 180 signatures municipales. Auprès du même journaliste, il se dira simplement "vexé" par le refus de l’artiste d’assumer cette candidature. "Il s’est dégonflé, c’est peu élégant de sa part".

Et si, questionné sur sa relation au « Cercle des gens de peu », dont le nom figure pourtant jusque dans la plaquette aux maires dans un texte qu’il a écrit lui-même, il se récrie et déclare ne rien avoir à faire avec eux, car « ce sont des fascistes », il ne renie pour autant rien du lien qui le lie à son ami Crevelle, ni du bien-fondé de cette tentative commune pour les présidentielles.

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Paysage des Hauts-Cantons

Et si le parti France Insoumise de Mélenchon, manifestant quelque inquiétude en apprenant cette alliance, s’est dépêché, par la bouche de la secrétaire du Parti de Gauche Martine Billard, de récuser ce candidat auto-proclamé pour les prochaines législatives 2017 [4], qu’importe : « Nous envisageons de présenter ma candidature aux législatives pour Ensemble et Front Commun car j’ai été élu, avec Catherine par les camarades de la France Insoumise 5° circonscription de l’Hérault, vote dont F.I. Paris ne veut pas entendre parler. Et en vrai insoumis nous ne pouvons pas supporter cet oukase du pouvoir central », annonce-t-il. (Il a depuis renoncé).

Un Blondeau fait dans la lutte locale bien davantage de dégâts encore qu’un Crevelle. Et a fortiori un Blondeau acoquiné à un Crevelle.

De s’embarquer, avons-nous dit. S’embarquer jusqu’où, c’est maintenant ce qu’on peut se demander, avec d’autant plus d’inquiétude que Blondeau ne s’est pas embarqué seul : à bord maintenant avec lui, outre ses camarades de La Cigale, il y a comme on l’a dit tout un groupe de jeunes « zadistes », installés, ravitaillés, protégés, inscrits d’autorité à la LDH par Blondeau (qui a payé lui-même les cotisations), et qui ne sauraient que le suivre.

Alors. Dira-t-on que Blondeau ne fut que la victime du confusionnisme de son ami Crevelle, qui du reste pour sa part ne parle que « fusionnisme », le « con » étant réservé à ceux qui sont contre ? Pourquoi pas. Mais à ce compte-là, il faudra aussi considérer Doriot comme une victime du confusionnisme national-socialiste. Pourquoi pas encore, si l’on convient de réserver le terme « confusionnisme » à une stratégie menée par l’extrême droite, lorsqu’elle cherche à draguer à gauche. Mais ne conviendrait-il pas bien plutôt de le considérer comme une victime des mœurs des élus, voire, du système électoral en vigueur ?

Et puis une restriction encore : ce terme de « victime » porte avec lui une charge d’innocence et d’inoffensivité qui, dans ce contexte, est tout à fait déplacée. Comme chaque fois qu’il s’agit de pouvoir, une victime de ce genre est avant tout un rouage, et une victime, ça nuit énormément. Un Blondeau fait dans la lutte locale bien davantage de dégâts encore qu’un Crevelle. Et a fortiori un Blondeau acoquiné à un Crevelle.

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