Hier [29 octobre] à Montpellier, entre 17 et 18h, en face de la mairie de proximité de la Paillade, une soixantaine de personnes se sont rassemblées pour soutenir les citoyens victimes de la terrible répression au Rif. C’est le Comité de soutien au Hirak du Rif – section Montpellier – (CSMRM) qui appelait à se rassembler. Divers porte-parole ont rappelé la situation du Rif aujourd’hui, et ont appelé à un soutien massif aux personnes emprisonnées et réprimées aujourd’hui là-bas. Ils ont aussi rappelé qu’il fallait dénoncer les conditions de vie insupportables imposées aux Rifains depuis trop longtemps. Le mouvement a été présenté comme un mouvement pacifiste, qui défend légitimement le droit élémentaire à disposer d’une vie digne dans le Rif, et qui en appelle aux droits humains universels pour faire cesser une injustice scandaleuse.
L’ambiance est devenue festive à la fin de la manifestation : les manifestant-e-s ont chanté et ont accompagné ce rythme en frappant dans leurs mains. Mais le rassemblement est aussi grave. L’inquiétude est réelle. Car de nombreuses personnes, dans ce rassemblement, ont un lien fort avec les rifains (certains sont nés là-bas, d’autres ont de la famille qui vit encore sur place). D’autres personnes, des militant-e-s, ou des sympathisant-e-s, étaient également présentes.
Un nouveau rassemblement est prévu le dimanche 28 octobre à 17h, sur la place de la Comédie, pour commémorer la mort de Mohcine Fikri.
Nous avons interrogé Kassem Zekabbar, porte-parole aujourd’hui du CSMRM (comité de soutien au mouvement populaire du Rif – Montpellier), et présent à ce rassemblement, pour qu’il nous en dise plus sur ce mouvement.
Le Poing : Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Kassem Zekabbar : Bonjour, je m’appelle Kassem, membre du comité de soutien populaire au Hirak du Rif, anciennement porte-parole du mouvement à Montpellier, et je remplace aujourd’hui le porte-parole qui n’a pas pu être présent.
Pouvez-vous nous parler de la situation sociale, économique et politique, dans le Rif et au Maroc ?
K.Z. : On va essayer de parler de ce qu’on connaît. Ce qu’on connaît, c’est le Rif. Soit on est nés là-bas directement, soit c’est nos parents, en tout cas on a un lien très fort avec le Rif, c’est une région qu’on connaît bien, c’est des gens qu’on connaît, c’est directement nos familles qui sont concernées par ce genre de problème. Après, le problème rifain avec l’Etat marocain n’est pas nouveau. C’est un problème en vérité très connu depuis l’indépendance du Maroc. Ou même avant. On fait remonter toujours les faits décisifs à l’indépendance du Maroc, c’est le minimum. En fait on devrait remonter à l’une des premières guerres anticoloniales, c’est-à-dire à la guerre du Rif de 1921, où l’on a utilisé des gaz chimiques contre la population [1]. Ces faits ressortent à un moment ou à un autre. Juste après l’indépendance du Maroc, le Rif a connu l’insurrection de 1958-1959, où l’on a massacré des gens dans une situation qui est presque la même que celle d’aujourd’hui [2]. A l’époque, on avait des gens qui demandaient simplement à être des citoyens ayant des droits de citoyens. L’histoire se répète, c’est pourquoi on remonte aussi loin. Aujourd’hui le Rif souffre. On a des gens qui sont en prison, qui sont à 40-45 jours de grève de la faim [3]. Le mouvement a démarré depuis la mort de Mohcine Fikri, le 28 octobre 2016. Les gens demandent des hôpitaux, des universités, des écoles, et le problème aujourd’hui renvoie à ça.
Pouvez-vous nous faire un historique des luttes, et un état des lieux des luttes ?
K.Z. : Avant la mort de Mohcine Fikri, les gens dans le Rif étaient déjà marginalisés, et considérés comme des citoyens de seconde zone, voire même pire que ça. Depuis sa mort, on assiste à un mouvement de revendications socio-économiques. [4]. Mohcine Fikri a été tué par le système marocain, corrompu [5]. On demande d’abord justice pour Mohcine Fikri. Ce système corrompu a aussi tué des gens qui ont participé à des manifestations, le 20 février 2011, on a des gens en prison depuis cette date. On a également cinq martyrs, « officiellement » brûlés dans une banque, mais on ne sait pas comment [6]. Les gens sont sortis pour réclamer justice, pour ces gens-là en priorité. Le Rif réclame aussi un hôpital d’oncologie, car le Rif c’est aussi la région où il y a le plus de cancers au Maroc, à cause des bombardements qui ont eu lieu de 1921 à 1926 [7]. Les demandes sont simples : des demandes de justice pour les gens qui ont été tués. La réponse de cet Etat criminel fut, comme d’habitude, comme dans le passé, la violence, les emprisonnements, la torture. Aujourd’hui, on a des innocents en prison qui réclament justice. On a des gens qui réclament simplement justice pour ceux qui ont été tués, pour leurs concitoyens. Le problème, à la base, il est tout simple.
A Montpellier, comment avez-vous construit ce mouvement ?
K.Z. : Nous, à Montpellier, on est réellement sortis le jour où ils ont commencé à arrêter les citoyens, à les mettre en prison. Pour parler simplement, on voit des gens à qui on explose la figure ; à qui on met des sacs sur la tête comme s’ils étaient des criminels, ou des terroristes ; alors que ce sont de simples citoyens qui veulent vivre dans la dignité, qui veulent vivre sur leur terre, tout simplement. Ils sont dans leurs droits. Nous avant ça, on les a toujours soutenus, parce qu’à la base on a des liens très forts avec le Rif. Moi qui vous parle, je suis né là-bas, ça reste un lien très fort. Je souhaite à ces gens-là de vivre chez eux, de travailler, de se soigner, tout simplement. On souhaite simplement à ces gens-là d’avoir notre vie ici. Même si rien n’est parfait. Mais il y a des choses qui ne se comparent pas malgré tout. On peut parfois faire des raccourcis, mais là c’est un autre monde. Il y a des gens là-bas qui sont entre la vie et la mort. Nous, le minimum qu’on puisse faire, c’est de les soutenir. On essaye aussi de dénoncer, ici en France, comme citoyens français, parce qu’on est pour la plupart des citoyens français aujourd’hui, la complicité du président Macron. Dans une République où il y a des droits, on ne peut pas cautionner un soutien français au régime marocain. On ne peut pas parler dans cette République des droits de l’homme et de la femme, et cautionner cette complicité criminelle de l’Etat français. Les droits des l’homme c’est pour tout le monde. Pourquoi moi, français, j’aurais plus le droit de vivre qu’une personne du Rif, ou encore de Birmanie, ou de partout ailleurs ?