Analyse des opérations antiterroristes à Barcelone

Afin de mieux comprendre les enjeux du débats de ce week end à la mauvaise réputation, une analyse pertinente des mécanismes de la contre-insurrection organisée par l’Etat espagnol. Lu sur le site Lundi.am

“Si le terrorisme c’est donner son soutien à ceux qui sont affectés par le problème du logement, alors ...”

... nous sommes des terroristes”

Une nouvelle opération antiterroriste a été menée en Espagne contre le mouvement subversif, ce mercredi 28 octobre 2015. Nous avons reçu cette contribution, que nous publions intégralement, de la part de barcelonais qui se sentent directement concernés par cette vague d’arrestations.

Acte III : PANDORA II, 28 octobre 2015

Ce mercredi 28 octobre 2015, une troisième vague d’arrestations a eu lieu en Catalogne, dans le cadre d’une enquête judiciaire diligentée par le juge Juan Pablo Gonzalez membre de l’Audiencia Nacional à Madrid, l’une des plus haute juridiction du pays, également à l’origine des deux précédentes opérations Pandora (novembre 2014) et de l’opération Pinata (30 Mars 2015). Sur les conseils des services de renseignements de la police catalane, 62 personnes furent arrêtées au total dans ces trois procédures visant les mouvements contestataires espagnols.

Mercredi matin, on apprenait donc l’arrestation d’un camarade qui se rendait à son travail dans le quartier de Sants à Barcelone. Dès l’annonce de cette opération de police, des amis et voisins ont accouru pour tenter d’empêcher la perquisition et montrer leur solidarité, avant d’être évacués par les Mossos d’Escuadra (police Catalane). Au même moment 8 autres arrestations avaient lieu dans différentes villes de Catalogne (Barcelone, Manresa).

Comme à chaque fois dans ce type d’enquête diligentée par l’Audience Nationale, les 9 camarades furent directement transférés à Madrid pour une garde-à-vue sous régime antiterroriste, avec pour accusation d’appartenir à « une organisation criminelle à finalité terroriste ».

Après 48h de garde-à-vue, 8 personnes parmi les arrêtées ont été remise en liberté sous caution, ou avec des amendes, pour un total de plus de 29 000 euros. Un seul camarade est resté détenu en préventive avec pour seule accusation une note des Mossos de Escuadra indiquant qu’il y a « des indices de l’unité idéologique des GAC (Groupes Anarchistes Coordonnés) : une stratégie visant à déstabiliser l’État et altérer la paix sociale ». Cette personne est un camarade connu pour son soutien aux familles et squats du quartier en instance d’expulsion, il est avocat du travail, membre de la CNT et membre actif du syndicat du logement du quartier de Sants.

Comme lors des deux précédentes affaires, il est reproché à ces personnes de faire partie de (ou de soutenir) une organisation terroriste. Ces accusations sont étayées par l’usage (par les accusés) d’outils de sécurité informatique comme Tor ou Riseup.net, par le fait d’avoir dans leurs bibliothèques des livres « subversifs », comme dans ce cas un ouvrage intitulé « Contra la democracia » ou des compte-rendus d’assemblées publiques.

Acte I : PANDORA I, 16 Décembre 2014

Tout a commencé en novembre 2014, avec l’arrestation de 11 personnes à Madrid et Barcelone dans le cadre de l’Opération PANDORA, d’une envergure jamais vue depuis 1992 et la fameuse Opération Garzon menée contre le groupe indépendantiste révolutionnaire catalan Terra Lliure. Cette opération avait pour but de s’attaquer directement aux réseaux de solidarité aux prisonniers politiques et notamment à Francisco et Monica, arrêtés il y a tout juste deux ans dans l’enquête sur l’explosion d’une petite bonbonne de gaz devant la cathédrale del Pilar à Zaragoza, Province d’Aragon. Comme aujourd’hui, les personnes avaient été accusées d’appartenir à « une organisation terroriste » et de « détention de matériel explosif ». Transférées pour des garde-à-vues de 96h devant le juge antiterroriste de l’audience Nacionale à Madrid, 7 personnes furent placées en détention provisoire pour plusieurs mois, avant d’être toutes libérées au mois de janvier 2015. Un grand mouvement de solidarité est né après cette vague d’arrestations, rassemblant jusqu’à près de 10 000 personnes dans les rues de Barcelone.

Acte II : PINATA, 30 Mars 2015

Alors que beaucoup de monde pensait qu’il n’y aurait plus d’autres opérations de ce type, 5 mois plus tard, en mars dernier, l’Opération Pinata, au nom aussi grotesque que les accusations sur lesquelles elle s’appuyait, fut lancée contre le mouvement. Dans le cadre de cette opération diligentée par la même juridiction de l’audience Nationale, une quinzaine de personnes furent arrêtées à Madrid et en Catalogne pour le même genre de motifs et transférées à la capitale pour leurs auditions. A la différence de l’opération Pandora, la police n’avait pas hésité à aller perquisitionner et chercher des gens jusque dans des lieux phares du mouvement. Plusieurs manifestations de solidarité avaient été organisées les jours d’après, réunissant à nouveaux des milliers de personnes. En plus du caractère arbitraire de ces arrestations, des accusations scélérates et du régime de garde à vue antiterroriste, plusieurs témoignages avaient relaté des conditions inhumaines de détention, un usage systématique de la détention préventive et de la politique d’éloignement, avec des transferts à répétition d’une prison à l’autre.

Le contexte de ces arrestations

Aujourd’hui, n’en déplaise aux communicants, ce ne sont plus seulement des membres présumés de « groupes armés clandestins », ni même leurs soutiens (comme lors de Pandora 1) qui sont visés, mais tout simplement des militants, des voisins, des habitants d’espaces autonomes, squats, centres sociaux et athénées qui se renforcent et se défendent chaque jour en Espagne. La stratégie policière a pris pour cible un petit groupe de personnes actives dans le soutien aux prisonniers politiques (Pandora 1), pour ensuite, lors d’autres opérations (Pinata et maintenant Pandora 2), élargir le cercle des arrestations et des perquisitions, pour tenter de constituer l’« organigramme » d’une Organisation fictive à donner en pâture à « l’opinion publique ».

Dans le cadre de Pandora 2, les personnes arrêtées font partie de secteurs « ouverts » du mouvement, d’un anarchisme social en lien avec des dynamiques d’organisation depuis les quartiers : engagées dans des centres sociaux ou des athénés, membres d’assemblées d’organisations anarchistes régionales comme la Fédération Anarchiste de Catalogne ou d’organisations militantes libertaires aux discours et aux pratiques autonomes reconnues par le mouvement comme « el Proces Embat ». Toutes ces personnes ont, pour beaucoup, moins le profil du « poseur de bombe » que celui du camarade de lutte, avec qui l’on s’organise aux quartiers, dans les manifs, à la fac, etc.

Après la victoire aux dernières élections législatives et municipales de plusieurs listes de la gauche radicale, souvent très liées aux mouvements sociaux comme à Barcelone où la nouvelle maire Ada Colau avait publiquement pris position avant son élection contre l’opération Pinata, il est clair que le gouvernement de Mariano Rajoy (soutenu par los Mossos de Escuadra, majoritairement de droite nationaliste catalane), à deux mois des élections générale,s maintient la répression à un niveau élevé et tente de fragiliser le mouvement antagoniste qui se structure un peu partout. Ces opérations ne sont que la mise en application d’une volonté de donner des éléments de justification aux votes des dernières lois de « sécurité citoyenne » dites lois Mordaza, l’une portant sur le droit administratif et l’autre sur une réforme profonde du code pénal.

La stratégie des services de renseignement espagnol d’arrêter tous les six mois différentes courants du mouvement est clairement une stratégie contre insurrectionnelle. A travers ces arrestations se clarifie peu à peu, une volonté politique de s’attaquer à l’ensemble des dynamiques de luttes sur la Métropole de Barcelone en tentant d’ouvrir l’usage de la catégorie de l’ennemi intérieur à des composantes plus hétérogènes du mouvement antagoniste. Loin des figures de l’anarchiste, du casseur ou du black block, le profilage policier, par ces opérations, détermine une nouvelle esthétique de la « violence » et par là même de la scène politique. Qui entretiendrait des liens trop évidents avec certaines des personnes arrêtées devrait lui aussi s’inquiéter d’être un jour interpellé. Comme enseignées aujourd’hui aux polices du monde entier, les techniques de contre insurrection visent moins à gagner les cœurs d’une population qu’a transformer ses perceptions par la répétition des interventions policières, la saturation, et ainsi la modification de son territoire.

Se donner les moyens de notre auto-défense

Dans cette idée, il est clair que le mouvement a commis l’erreur de maintenir une stratégie de solidarité qui consistait plus à renforcer par la défense d’une certaine esthétique les postures de l’identité anarchiste avec le slogan « Yo tambien soy anarquista ! » plutôt que de prendre le temps de la réflexion et d’élaborer une stratégie d’auto défense plus générale contre ce mode de gouvernement.

En adoptant cette stratégie de riposte symétrique, il est devenu toujours plus anarchiste. Son discours, ses pratiques, au lieu de s’élargir, de gagner en qualité et d’être réappropriées par d’autres, l’enferment dans la figure du militant radical que le pouvoir souhaite lui aussi renforcer, pour pouvoir l’isoler et s’en saisir plus facilement. Chaque opération de police contre le mouvement a pour objectif, non seulement de fragiliser nos capacités à nous organiser, mais aussi de formater l’identité anarchiste, la rendant de moins en moins rejoignable en l’isolant des autres composantes de la lutte. De cette manière, la force du mouvement hétérogène, populaire, héritage du mouvement des places et de la lutte autonome depuis les quartiers, s’étiole, devient peu à peu identifiable et stigmatisable.

Ce qui est clair, c’est qu’après ces trois opérations, notre réponse ne peut plus se cantonner aux manifestations et discours de justification. Ce dont il s’agit aujourd’hui, pour ne pas tomber dans les écueils de l’anti-repression, avec tout ce que cela contient d’isolement, c’est moins de rejouer les procès au sein même du mouvement, dans cet entre-soi confortable, à déterminer qui est le plus radical, le plus attaqué, que de renforcer la visibilité et le partage de nos luttes, de nos vies et de faire un pas de coté pour se rencontrer.

« Contre la contre insurrection » ou comment apprendre des politiques anti-terroristes menées dans le passé

La stratégie de l’Audience Nationale, pendant les année 90 2000, avec la question Basque était similaire. Une politique administrée par les socialistes, sous le gouvernement du PSOE, ne disait rien d’autre lorsque son Ministre de l’Intérieur déclarait déjà « Todo es ETA ! ». Cette tactique a permis que, non seulement les réseaux de soutien aux prisonniers politiques, ou des organisations de jeunesse explicitement non violentes soient arrêtés, ainsi que les avocats qui s’engageaient pour leur défense. Cette fois-ci, ils semblent vouloir faire la même chose : « Todo es GAC ! » référence au Groupe Anarchiste Coordonné, accusé d’avoir fait exploser des bouteilles de camping-gaz ces dernières années.

La technique de contre insurrection en Espagne, intégrée durant la dictature par tous les organes du pouvoir, est aujourd’hui bien rodée aux nouvelles configurations du mouvement. Poussant par la répression les groupes et militants les plus radicaux dans toujours plus d’opacité, l’État incite à commettre les mêmes erreurs, ce qui invite donc à redéfinir les stratégies.

Soit nous continuons à rendre opaque ce qui nous rend vivant, en tombant dans le piège de la clandestinité, soit nous acceptons nos faiblesses et renforçons notre intelligence et nos liens avec les mouvements sociaux en se dotant d’outils toujours plus pertinents.

Étrangement, deux jours après l’Operation PANDORA II, 9 personnes du mouvement indépendantiste de gauche en Galicie, ont été arrêtés sous les mêmes accusations et déférés à Madrid, sans preuves et sans autres formes de procès.

Lu sur le site Lundi.am

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