Montpellier : journée anti-répression et rencontre avec Pierre Douillard, auteur de "L’arme à l’œil"

Cette journée [du 26 juin 2016] a été organisée par l’AG contre l’état d’urgence et l’Etat policier, et la commission anti-répression de l’assemblée populaire, qui gèrent l’aide juridique et financière des inculpés, et sensibilise à la répression policière, à la ZAD de Las Rébès.

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En 2007, lors d’une manifestation lycéenne, Pierre Douillard est touché au visage par une balle en caoutchouc tirée par un policier, équipé d’un LBD (lanceur de balle de défense). Il perd alors l’usage de son œil. Depuis, il dénonce la militarisation de la police et a créé l’Assemblée des blessés, réunissant des personnes victimes des violences policières, notamment dans les quartiers populaires et les mouvements sociaux.

• Présentation de L’arme à l’œil, violence d’État et militarisation de la police

On compte des centaines de blessés par l’usage de balles en caoutchouc, de grenades lacrymogènes et autres armes utilisées par la police. Il y a peu, c’est un reporter qui passait dix jours dans le coma après avoir reçu un éclat de grenade. Sur cette question, on ne peut parler de dérives, mais d’un processus mit en place depuis vingt ans. Depuis 1968 et jusqu’en 1986, on ne compte aucun mort victime des violences policières. Le but est uniquement de repousser la foule. Mais en 1986, Malik Oussekine passe aux abords d’une manifestation et est frappé à mort par un voltigeur (à deux sur une moto, les voltigeurs poursuivent les manifestants). L’émotion est nationale, le projet de loi est retiré, les voltigeurs supprimés, l’ensemble de la gauche descend dans la rue. En 2014, après la mort de Rémi Fraisse, la situation est très différente. On assiste à un enfumage médiatique autour des faits, la gauche se désolidarise, le policier responsable n’est pas inquiété. Les grenades offensives ne sont pas réellement supprimées. 2016 est la continuité directe de cet événement. Le gouvernement n’a plus peur de faire des morts ou des blessés. La police se militarise et l’Etat adopte une doctrine de guerre : assumée à l’extérieur, on l’appelle « maintien de l’ordre » à l’intérieur du pays.

En 1995, Claude Guéant, ministre de l’intérieur, chef de la police nationale, équipe les policiers d’armes plus puissantes pour intervenir dans les quartiers populaires. C’est ainsi qu’en 1998 un père de famille perd un œil à Villiers-sur-Marne. Sous Nicolas Sarkozy, entre 2002 et 2004, l’usage du flashball se généralise : « quand les policiers ont des armes, les voyons ne viennent pas les chercher »… L’utilisation de ces armes vise à faire peur et à individualiser les blessures, afin d’empêcher une réponse collective. Les grenades de désencerclement se généralisent elles aussi. Composées de TNT, elles projettent des éclats en caoutchouc. Le processus s’achève par la mise en place du LBD 40 (lanceur de balles de défense 40 mm) testé lors des luttes lycéennes et étudiantes en 2007 par des policiers volontaires. Cette arme de catégorie A, classée arme de guerre, a mit fin au mouvement étudiant. En 2012, la gauche généralise le LBD.

Depuis 20 ans, ces armes sont expérimentés dans des laboratoires :

  • Le premier laboratoire et le plus important, ce sont les quartiers populaires. La BAC (brigade anti-criminalité) est créée en 1994. La police est aux frontières de la légalité et teste toutes les nouvelles armes de répression dans les banlieues.
  • Le deuxième laboratoire se met en place autour des luttes dites radicales, d’ultra gauche, des mouvements étudiants qui ne sont pas cadrés. Les ZAD sont aussi des lieux d’expérimentation. La première attaque de Notre Dame des Landes (l’opération César en 2012) a mobilisé des centaines d’hommes, des hélicoptères 24h/24, des milliers de grenades, ce qui a dut coûter des millions d’euros.
  • Le troisième laboratoire se forme autour des sports marchands, du football capitaliste : les dispositifs sécuritaires autour des stades sont énormes (caméras, fouilles, interdictions de stade pour les supporters jugés incontrôlables). Avec l’état d’urgence, ces interdictions sont orientées vers les manifestants.

Cette nouvelle doctrine de militarisation s’accompagne d’enjeux économiques. Il y a peu le salon mondial de l’armement Eurosatory à Villepinte permettait d’accéder aux dernières nouveautés en terme d’armement. On y trouvait notamment des LBD qui tirent en rafale. Le ministre de l’économie israélien a affirmé que si Israël vend beaucoup d’armes c’est parce qu’on sait qu’elles ont été testées au préalable. C’est pareil en France : les armes sont testées puis vendus à l’étranger avec la garantie de leur efficacité. Les usines Nobel Sport qui produisent massivement des armes exportent 80% de leur production. Au Bahrein, ces dernières années, 87 personnes sont décédées suite à l’utilisation de grenades lacrymogènes françaises. Ces armes sont dites « sublétales », « à létalité réduite » ou encore « armes intermédiaires ». Pourtant, selon leur utilisation, ces armes peuvent être mortelles. Selon la distance, la zone visée, un LBD peut causer des blessures, des mutilations, voir la mort.

• Débat

La présentation par P. Douillard a introduit un échange entre les différents participants et Pierre Douillard. Voici les principaux points et pistes de réflexions abordés.

Description des armes utilisées

Les grenades sont tirées par un mortier qui peut en envoyer jusqu’à 200 mètres, ou directement à la main. Grenade offensive (of) : composée de TNT, elle était réservée aux gendarmes. Elle a été interdite à la mort de Rémi Fraisse. Grenade MP7 commando : en brûlant elle disperse des palets qui libèrent du gaz. Sa dangerosité dépend du taux de cs du gaz, qui peut aller de 5 à 15% en France. Elle a déjà été mortelle, notamment en Israël. Grenade lacrymogène instantanée (GLI) : elle produit un effet de souffle puissant, une forte détonation et libère du gaz. Elle est beaucoup utilisée dans les quartiers et à Notre Dame des Landes. Dispositif manuel de désencerclement (DMP) : composé de poudre explosive, il provoque une forte détonation et envoie des projectiles en caoutchouc. Le bouchon allumeur est composé de fer ce qui peut être très dangereux.

Différentes unités de police

La préfecture de police de Paris est comme un Etat dans l’Etat, elle a ses propres règles. La Garde Mobile (GM) est une unité militaire qui vise le maintien de l’ordre. Elle se contente souvent de repousser et de gazer. La Brigade d’Intervention dépend de la préfecture, elle est initialement prévue intervenir
dans les quartiers populaires. C’est elle qui met en place les nasses et poursuit les manifestants. Ils sont dangereux et n’hésitent pas à tirer. On les reconnaît aux bandes bleues sur leurs casques. Ce sont généralement eux ou la BAC qui sont impliqués dans les violences.

Militarisation de la police

On remarque que même à l’étranger les opérations militaires sont considérées comme des opérations de police ou de maintien de l’ordre. Plus besoin de déclaration de guerre. En France, Les militaires sont de plus en plus présents depuis l’instauration du plan vigipirate en 1995 (censé être temporaire). L’état d’urgence expérimenté depuis 2015 a accentué la situation, nous plaçant aux frontières de la légalité. Cette militarisation vise à effrayer la population. Le gouvernement socialiste a tout essayé : de nombreux militants ont remarqué la présence de militaires aux abords des manifestations, le retour des voltigeurs, et l’utilisation de supers flashballs qui peuvent tirer en rafale jusqu’à 6 coups de balles différentes. Ce dernier est proche des fusils Milcor (lance grenades de guerre) qui ont été reconvertis pour tirer des balles en caoutchouc. Le maintien de l’ordre est différents selon les villes, l’État teste différentes approches. Ces dispositifs sont évidemment très coûteux. La mise à mal de l’Etat social est effectué en parallèle du renforcement sécuritaire. Des primes sont accordées aux CRS alors que des mesures d’austérité sont instaurées.

Violence des manifestants, violence des policiers

Il y a peu de lien entre l’attitude des manifestants et celle des policiers. Par exemple, il y a peu de violences policières dans les manifestations des agriculteurs malgré les méthodes offensives qu’ils peuvent utiliser. Les violences sont commises sur des marges de la population, les franges précaires sur lesquelles il est jugé acceptable de frapper (quartiers populaires, extrême gauche). Aujourd’hui, ces violences se généralisent. La police utilise de plus en plus de protections, de boucliers, de murs anti-émeutes… Ces dispositifs forts pourraient expliquer son usage grandissant de la violence car elle court très peu de risques. Les militants doivent adapter leur tactique : revenir à basse intensité, trouver un moyen de contrer les nasses, se protéger les yeux et le visage, réfléchir aux itinéraires et mettre en place une défense collective. Il ne faut pas se militariser comme eux, le but n’est pas de blesser la police mais de « la tenir en respect ». La meilleure stratégie est d’être imprévisibles mais assez organisés pour protéger le cortège. Le but de la répression est de dissocier les personnes offensives des autres, mais aujourd’hui de plus en plus de gens sont dans les cortèges autonomes et cassent ce processus de dissociation. Il faut multiplier les lieux occupés, les actions, pour dépasser la police. Les mouvements sociaux ont une prise de plus en plus large sur la violence policière : autodéfense, équipes médicales, stratégies pour tenir la police en respect… Malgré la peur que veut instaurer l’État via la police, le mouvement social est toujours là.

Impunité policière

La police a beaucoup d’influence sur la rédaction des lois. La police des polices est peu efficace : il est difficile de retrouver les policiers impliqués dans les violences, les affaires prennent beaucoup de temps et finissent souvent par des non lieux. Certaines preuves notamment des vidéos sont cachées. Il est important de faire connaître son affaire et d’être visible dans les médias. Sur les 42 affaires que suivent l’assemblée des blessés, seulement deux policiers ont été assignés. L’un a pris une peine de sursis, l’autre continue la procédure en appel. Il ne faut pas hésiter à s’engager, témoigner, soutenir les inculpés. Faire se rencontrer différents blessés permet de rompre l’atomisation : les victimes sont souvent des individus isolés, marqués dans les chairs, et traité de casseur par les médias.

Médias

Actuellement, l’hégémonie culturelle se situe à droite voir à l’extrême droite qui dénoncent les « casseurs » et les « ultras gauches ». Aujourd’hui ils sont rejoints par la gauche. La manifestation du 14 juin en est l’exemple : alors que la mobilisation était énorme, les médias n’ont véhiculé qu’un contre récit sur les dégradations de l’hôpital Necker. Il faut donc étendre notre réseau par des sites, des journaux, des lieux de rencontre, et toucher le plus grand monde. Sur la question des violences policières, on fait face à un black out des médias. Il est souvent difficile pour les blessés d’affronter les caméras. Il est très difficile de s’attaquer à la police. Les réseaux sociaux et la médiation directe auprès des gens semblent être plus efficaces que les médias de masse. Il faut redonner accès au gens à la culture et mobiliser les classes populaires, prendre garde à l’entre-soi militant. Créer de l’échange dans les lieux comme la ZAD, réinventer les moyens de communication et utiliser d’autres médiums comme le cinéma.

Un nouveau laboratoire : les migrants

Les migrants subissent eux aussi le caractère expérimental des violences policières, notamment aux frontières. Les salles d’audience sont placées proches des camps, hors de l’appareil judiciaire habituel. Ils sont assimilés à des terroristes, comme le sont de plus en plus les militants. Le même processus s’est engagé avec le Patriot Act aux Etats-Unis, utilisant le prétexte du terrorisme pour surveiller et attaquer d’autres cibles. On place les « casseurs » hors du domaine politique en les assimilant aux terroristes, de même que l’on relègue la question des migrants à des considérations humanitaires. On fait la différence entre migrants économiques et réfugiés, créant ainsi des catégories pour mieux diviser.

Lien avec l’économie et place de la gauche

Le programme écolibéral avancé notamment par Nixon vise à laisser l’économie tout réguler. Les réformes économiques étaient très impopulaires ce qui nécessitait une dictature militaire. Depuis les années 1980 et l’arrivée de Thatcher en Angleterre, les démocraties sont de plus en plus violentes envers les contestataires. La gauche a toujours fait pire que la droite en matière de répression : le SFIO après 1945, la répression des mouvements de mineurs dans le Nord en 1947, Mitterrand pendant la guerre d’Algérie puis dans sa gestion des camps de rétention de migrants lorsqu’il était président… Les tests ADN sont aussi instaurés par la gauche pour en arriver aujourd’hui à 3 millions de fichés ADN.

Situation à Nantes

Les manifestations sont interdites jusqu’à la fin de l’état d’urgence. Il y a eu en tout 400 interpellations, et plusieurs peines de prison ferme. Comme partout, le mouvement sera moins actif cet été, mais une université populaire sera mise en place du 26 au 28 août pour relancer la lutte à la rentrée.

Entièrement repris du site de la ZAD Las Rébès - quartier Cévennes

P.-S.

• Documentation :

Livres : L’arme à l’oeil, Violence d’Etat et militarisation de la police, Pierre Douillard-Lefèvre, Editions Le bord de l’eau, 2016
Face à la police, face à la justice, Eli Escondida et Dante Timelas (disponible à la ZAD)
Court métrage : La disette des corbeaux
site : 27novembre2007.blogspot.com
Facebook : Assemblée des blessés 44
AG contre l’état d’urgence et l’état policier

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