Validisme et psychophobie : libérer la parole

Deux anciens patients de l’hôpital psychiatrique témoignent de leurs internements et partagent leurs ressentis sur l’hôpital psychiatrique.

Une réunion publique sur le handicap et le validisme se tiendra le lundi 13 novembre à 19h au café Le Dôme, 2 Avenue Georges Clemenceau, arrêt de tram Saint-Denis (lignes 3 et 4).

• Nous invitons toute personne souhaitant témoigner, ou rejoindre notre collectif, à nous contacter à cette adresse : antivalidisme.mtp@protonmail.com

Chapitre I : La psychiatrie

A) Témoignages de deux anciens patients de l’hôpital psychiatrique : Jérome et Benoît

1) Témoignage de Jérome

Les médecins m’ont diagnostiqué il y a environ 10 ans : j’aurais un « fond dépressif » et je souffrirais de « phobies sociales ». Mais je considère que ces catégorisations sont propres à l’ordre médical qui m’a enfermé, et ne traduisent pas forcément la singularité de mon mal-être.
J’ai aujourd’hui 34 ans, et entre 2002 et 2008, j’ai été hospitalisé une dizaine de fois, pour des durées d’un mois environ, excepté une fois, où je suis resté 9 mois pris en charge.

Erreur de diagnostic

En 2003, une psychiatre a fait une erreur de diagnostic en ce qui me concerne : elle a considéré que j’étais "bipolaire". Suite à cela, pendant presque 3 ans, on m’a donné du lithium, et ponctuellement des neuroleptiques, alors que cela n’était pas du tout adapté à ma situation réelle. Le lithium n’a absolument pas soigné les troubles psychiques dont je souffrais, mais pire il m’a déclenché une hypothyroïdie [1]. Trop souvent, dans le cadre psychiatrique, les patient.e.s sont mal diagnostiqué.e.s par les médecins négligents ou surchargés de travail, ou attendent plusieurs années pour avoir un bon diagnostic, si bien qu’iels subissent les effets secondaires de traitements lourds sans même pouvoir être soigné.e.s par ces traitements inadaptés.

L’expérience de l’hôpital

En terminale je souffrais déjà de phobies scolaires. Au départ, l’hôpital psychiatrique m’avait semblé sécurisant, car dans le monde extérieur j’étais confronté à des situations difficiles pour moi et les autres profitaient de mes faiblesses. Ma première hospitalisation a marqué la fin de mon parcours scolaire. Elle a duré trois semaines et je l’ai ressentie comme une bouffée d’oxygène : j’ai rencontré des patient-e-s avec lesquel.le.s je me sentais bien, nous étions dans un lieu calme à la campagne.
Durant les hospitalisations qui ont suivi, j’ai commencé à ressentir la limitation de nos contacts avec l’extérieur, comme une volonté de mettre les « fous » de côté, comme si nous étions une menace pour la société. Je me souviens par exemple qu’avec les autres patient.e.s, nous évoquions notre sentiment d’être marginalisé.e.s, d’être contenu.e.s dans un espace restreint, ou la manière dont on nous faisait taire. Certain.e.s soignant.e.s nous menaçaient implicitement de nous envoyer en chambre d’isolement, ou de nous mettre sous camisole chimique. Toute contestation un peu appuyée s’accompagnait d’un rappel à l’ordre implacable. Le plus souvent, on prétend nous soigner « pour notre bien », mais j’ai plutôt ressenti qu’il ne fallait pas faire de vagues, perturber l’ordre social et médical, et surtout laisser les soignant.e.s vaquer à leur routine sans les « déranger ».

Des patient.e.s soigné.e.s pour des troubles très différents sont enfermé.e.s dans les mêmes services. Ces personnes sensibles sont de véritables « éponges », particulièrement réceptives aux souffrances d’autrui. Coupées du monde extérieur, elles n’ont pas de moments pour décompresser, sortir momentanément du quotidien de l’enfermement, entourées uniquement par la détresse des un.e.s et des autres.

Dans ces lieux, notre parole est toujours assignée au « délire », alors que nous pouvons tout de même parfois développer des prises de conscience collectives au moins relatives : nous comprenons très bien, malgré nos troubles psychiques, que nous ne correspondons pas à la « norme » sociale et que nous sommes marginalisé.e.s sur la base de différences arbitraires.
Je connais même un patient, devenu proche, qui ne souffrait pas de troubles psychiques, mais a été enfermé pour son rejet de la « norme sociale ». Au pire, il semblait peut-être très « turbulent », mais il n’avait pas de délires, ses propos étaient cohérents.
Tout ce qu’il pouvait dire ou faire était considéré comme « pathologique », parce qu’il n’était qu’un patient dans l’espace très connoté de l’hôpital psychiatrique.

L’autorité de l’ordre médical et social

J’ai senti que les médecins me collaient une étiquette d’handicapé, malgré moi. En 2003, quand j’avais 20 ans, on a voulu que je touche l’AAH (Allocation Adulte Handicapé). Je me sentais alors comme un imposteur, voire un « fraudeur » car je ne m’étais jamais considéré « handicapé ». Plus tard, j’ai pris conscience que le handicap était une notion relative, et que celle-ci renvoyait à la manière dont la société me traitait par rapport à mes troubles. En outre, ce handicap traduit la manière dont cette société est incapable de prendre en compte et respecter notre différence, de s’adapter à nous. Par exemple, je considère que ma différence pourrait être un plus : je suis capable de développer plus d’empathie que la plupart des gens. Une société plus émancipée ferait de ma différence un moyen de sociabilité plus riche, mais notre société actuelle, basée sur la compétition et non sur l’entraide, en fait un désavantage, un facteur négatif, un handicap.
Néanmoins, je revendique désormais mon statut de handicapé. Cette revendication est indissociable d’une solidarité avec mes pairs, une affirmation de ma différence pour dénoncer l’intolérance. Ma lutte contre le validisme s’associe à celle contre les LGBT+phobies [2], le racisme, le sexisme et toute forme d’oppression.

Pour les médecins, j’étais plus un dossier à traiter qu’une personne souffrante à part entière. Sans prendre en compte mon vécu personnel ni mon avis, iels pouvaient prendre n’importe quelle décision qui affecterait ma vie – m’enfermer plus longtemps, me donner un traitement plus lourd, etc – si bien que je faisais attention à tout ce que je disais face à elleux, comme si je jouais un rôle.
Iels ont l’autorité, iels décident de notre sort, nous infantilisent et nient notre capacité de réflexion même si nous n’avons pas de troubles cognitifs.

Le personnel infirmier

Concernant les infirmiers et infirmières, certain.e.s étaient dans une démarche d’aide aux patient.e.s, et m’ont fait du bien. Mais iels étaient à contre-courant de ce système, dans lequel la priorité est de nous « traiter » dans l’urgence, et de « traiter » simplement de purs « symptômes ». Une autre partie du personnel infirmier semble être constitué par des gardien.ne.s de prison. Iels nous soignent dans l’urgence, sans attention. D’autres enfin veulent nous aider, et ont des bonnes intentions, mais sont pressuré.e.s, et n’ont tout simplement pas le temps de nous prendre en charge comme il le faudrait.
La famille
Ma famille proche (mes parents et ma sœur) a toujours été très présente pour moi, m’a toujours aidé et soutenu. Je considère que c’est grâce à elle que je suis encore en vie, et non grâce à la psychiatrie.
De même, lorsque j’étais hospitalisé, c’est grâce au lien entre patients que j’ai tenu le coup.
Les personnes dont les proches les soutiennent s’en sortent moins difficilement que les personnes n’ayant plus ce lien. Celles et ceux qui cumulent les troubles psychiques et les difficultés sociales sont doublement pénalisé.e.s.

Conclusion

Aujourd’hui, si c’était à refaire, je ne demanderais pas à être autant hospitalisé : j’ai trop perdu le contact avec le monde extérieur. J’ai fini par me réintégrer progressivement, mais difficilement. Six ans après ma dernière hospitalisation, j’ai pu passer le DAEU [3] . Je m’en suis sorti malgré mes hospitalisations et non grâce à elles.
A l’époque où j’étais « psychiatrisé », j’ai senti le regard excluant des gens « normaux ». Je passe aujourd’hui davantage pour une personne « normale », mais mon sentiment de marginalité, subi depuis mon adolescence, n’a pas disparu.

2) Témoignage de Benoit

Souffrant de troubles bipolaires, j’ai été détenu à Lyon, entre 2009 et 2013, dans l’hôpital psychiatrique public « Le Vinatier », quatre fois deux mois, et à la Villa des roses, une clinique privée, environ quatre mois. Militant anticapitaliste, professeur de philosophie et « théoricien révolutionnaire », je propose ici un témoignage certes partial, mais qui se voudra le plus descriptif possible.

L’hôpital psychiatrique, ou la clinique privée, est un lieu dans lequel on se rend très souvent par obligation. J’ai été enfermé trois fois à la demande d’un tiers « HDT » (personnes de la famille, ami.e.s, etc.) et une fois d’office (HO), c’est-à-dire que le préfet de police a estimé que j’étais une menace pour l’ordre public. Car lorsque l’on souffre de troubles d’ordre cognitif, une psychose répressive s’empare très vite des pouvoirs publics, encadrants ou soignants.
L’enfermement est peut-être une solution reposante pour les ami.e.s et l’entourage, mais pour soi-même elle est un sentiment d’exclusion et de marginalisation, qui rendra encore plus difficile la « réinsertion dans l’ordre social », condition assez désolante de toute amicalité et de tout lien familial contemporain.

Les médecins « gèrent » des patient.e.s mais ne soignent pas

Le médecin quant à lui, nous voit une fois par semaine, et décide de notre sort sur la base d’un vague coup d’œil. Il connaît mal mon dossier (ainsi, il confond tout en ce qui concerne mon histoire familiale), et il est incapable de faire une minute de psychothérapie ou de psychanalyse. Il fait que je me sens nul, jugé, minable, bientôt sous curatelle (sa préconisation), ou pourquoi pas dans un appartement thérapeutique (avec d’autres dépressifs, victimes ou victimisé.e.s : rien de mieux pour rester soi-même dépressif que de rester uniquement avec d’autres frères et sœurs de souffrance qui se sentent également exclu.e.s).
L’un d’entre eux, le docteur B., m’a dit « d’arrêter la philosophie », alors que j’avais déjà un master 1 (mention bien) dans la discipline. Il m’a figé dans la maladie sans me connaître, sans prendre le temps de connaître mes désirs et mon histoire, sans me parler de mes traumatismes passés, dépassables quand on les formule. Si ma mère, qui me prenait en charge, l’avait écouté, je moisirais à l’heure actuelle dans un appartement thérapeutique, sous curatelle. Il se trouve qu’elle ne l’a pas écoutée, et que j’ai été reçu 15ème au concours de philo (1er à l’écrit), et que j’ai publié dans la foulée plusieurs essais théoriques, ce qui m’a redonné un peu le goût de vivre.
Autrement dit, ces soignant.e.s, avec leur autorité irresponsable, sont capables de détruire des vies en une seule phrase, sans s’en soucier, puisqu’iels n’ont affaire qu’à des chiffres. Mais ces médecins sont aussi des « individus pressés ». Ils ont des comptes à rendre, administrativement et quantitativement parlant, à une autre hiérarchie, et sont à leur tour « victimes » de cette situation : iels sont poussés à devenir de tels bourreaux insensibles. Ainsi, de même que le médecin impose à « ses » infirmiers et infirmières de distribuer « son » poison (ou celui des dealers pharmaceutiques dont il est le revendeur), il est lui-même soumis à l’administration publique qui le rémunère et exige qu’il développe une sociabilité empoisonnante avec « ses » patient.e.s pour que ces dernier.e.s soient démoralisé.e.s et se résignent à leur sort, condition nécessaire pour que l’ordre établi perdure.

Les « soins » qui consolident d’autres pathologies

Les médicaments marchent une fois sur deux (ou sur trois, ça dépend). Si lae patient.e a la malchance d’avoir une maladie rare (et donc non subventionnée), alors iel ne sortira que difficilement des mailles du filet. Si son « capital génétique » est peu courant, certains médicaments standards ne fonctionneront pas, et iel devra subir, comme un cobaye, peut-être une dizaine de traitements, avant de trouver « le bon ». S’iel n’est toujours pas « bien diagnostiqué.e », iel subit des traitements inappropriés, qui peuvent accroître son mal, ou en produire des nouveaux. Ainsi, je connais une jeune femme qui souffrait d’une dysmorphie bénigne, mais dont le diagnostic n’était pas « clair », et qui a essayé tout un tas de traitements inadaptés, jusqu’à développer une schizophrénie, loin d’être bénigne.
De même, une patiente qui est devenue une de mes amies, a développé des crises d’angoisse aiguës dans le même temps où elle aurait été « traitée » pour des accès de panique. Pour guérir de ces crises, elle a été contrainte de recourir à d’autres traitements, produisant d’autres effets secondaires, appelant de nouvelles « cures », indéfiniment. Dans un tel contexte, il paraît logique que les patient.e.s restent très longtemps dans les hôpitaux, même si c’est pour soigner des troubles d’abord bénins.
Un autre ami, régulièrement pris d’accès de fureurs incontrôlables, surtout dus à un passif familial très lourd, n’a pas eu la chance de bénéficier de psychothérapies adaptées, mais a été traité chimiquement pour une souffrance qui était d’abord psychologique, dérivant essentiellement de son histoire personnelle, et non pas de dysfonctionnements cognitifs au sens strict. Il a ainsi développé tous les troubles « collatéraux » qu’impliquent de tels traitements, mais sans avoir pu abolir sa souffrance intime, qui supposait une cure par la parole très spécifique, cure qui ne sera jamais sérieusement dispensée dans les hôpitaux psychiatriques.

L’enfermement est toujours une souffrance

De façon générale, le fait que des délirant.e.s soient tou.te.s enfermé.e.s dans le même lieu ne favorise pas leur guérison, idem pour les dépressions. La pauvreté de cette sociabilité fait que les patient.e.s resteront très souvent entre elleux, même après être sorti.e.s de l’hôpital. Leur marginalité est affermie par le fait qu’on les a tou.te.s « mis.es dans le même panier », pour les enfermer dans un même lieu, où iels se reconnaîtront entre elleux selon des critères mutilants et unidimensionnels. Dans la sphère du salariat « valide », ou dans leur famille « valide », iels ne se sentiront jamais vraiment à leur place, et auront l’impression que seuls leurs frères et sœurs de souffrance les comprennent.
Des lieux de soin où les personnes souffrantes ne seraient pas enfermées, développeraient leurs talents propres, côtoieraient des personnes plus épanouies, non souffrantes, pour entreprendre des projets émancipateurs, restent réellement à inventer. Le mouvement de l’Antipsychiatrie a pu aller dans ce sens à un certain moment, mais les puissances conservatrices étouffent trop souvent ce genre d’élans. Quoi qu’il en soit, il est insensé, voire sadique, de mettre ensemble pendant plusieurs mois des individus qui sont tous désespéré.e.s, délirant.e.s, ou hanté.e.s, sans autre compagnie que des soignant.e.s qui les négligent ou les infantilisent : dans un tel contexte iels ne font que développer davantage leurs souffrances ou leur sentiment de marginalité.
Certes, au programme de la journée il y aura parfois des activités manuelles ou des ateliers d’écriture qui pourront être prévus, bien que cela reste très rare et très ponctuel. Malheureusement, ces activités sont aussi des humiliations subtiles : la personne « handicapée » est ici niée comme artiste, ou comme personne créative, et elle participe à l’atelier simplement pour « se soigner », « se réadapter », cataloguée comme malade. De nombreux.ses patient.e.s développent un certain talent créatif lors de ces séances : mais on leur tapera gentiment dans le dos, en leur disant que ce qu’iels font « est bien pour elleux », et en sous-entendant qu’iels pourront bientôt « se réinsérer » dans le « monde normal » qui les a pourtant aussi sauvagement assigné.e.s et rendu.e.s malades.

B) Développer des espaces de libération de la parole

1) Fréquenter les structures psychiatriques

Ces descriptions s’appuieront sur nos expériences personnelles de la psychiatrie, et ne prétendent pas définir exhaustivement ce que serait la « psychiatrie en général ». Néanmoins, on tâchera de saisir ici des structures assez générales, qu’on peut rencontrer dans de nombreux centres hospitaliers.
Jérôme a fréquenté l’hôpital public et la clinique privée. Benoît a fréquenté l’hôpital public (Vinatiers, Lyon) et la clinique privée (Villa des roses, Lyon).
Dans les différentes unités de l’hôpital public, on constate que les patient.e.s sont essentiellement traité.e.s chimiquement, mais qu’il y aura un suivi psychothérapeutique presque absent. On « place » ici des personnes qui ont des pathologies très différentes (pathologies « lourdes », dépressions, surdité, autisme...). Les espaces de libération de la parole sont très rares, et souvent informels (certain.e.s infirmier.e.s peuvent en effet parfois organiser des temps informels de discussion avec les patient.e.s). Les soignant.e.s (en particulier le personnel infirmier) critiquent souvent leurs conditions de travail : manque de moyens, de temps.
Durant certains moments de vie, les patient.e.s discutent entre elleux, mais sans cadre et sans direction : dans ce contexte, la libération de la parole est rarement émancipatrice, mais favorise trop souvent, au contraire, la consolidation des souffrances (délires, déprime). Dans certains cas, les patient.e.s peuvent ici exprimer des désirs de rébellion, mais sans savoir toujours développer un discours construit et une conscience critique qui pourrait être entendue par l’ordre normatif.
Dans les cliniques privées, nous avons constaté que les ateliers thérapeutiques « créatifs » (écriture, arts plastiques, musique, sports, etc.) et que les espaces de libération de la parole étaient davantage développés que dans les unités de l’hôpital public. La clinique privée n’est pas prise en charge à 100% : les patient.e.s bénéficiant de ces soins « privés » plus « attentifs » devront donc être des patient.e.s privilégié.e.s socialement et économiquement (soin psychiatrique à deux vitesses). En outre, ces ateliers thérapeutiques « créatifs » et ces espaces de libération de la parole auront certes certains effets immédiats sur notre état de santé, mais ne nous permettront pas suffisamment de conscientiser les causes de notre mal-être, et de les soigner à la racine, tant individuellement que collectivement.

La dimension sociale du handicap psychique

Notre société capitaliste définit une norme qui renvoie elle-même à la nécessité de se soumettre à un ordre dissocié, clivé et clivant, et presque « insensé ».
Elle entretient une non-reconnaissance des individus par le système, et des individus entre eux, qui favorisera une atomisation du lien social. Le développement des réseaux sociaux et sites de rencontre sur internet exhibe très explicitement de telles souffrances psychiques de l’individu moderne.
Autrement dit, la « norme » à laquelle s’opposerait le « fou » aujourd’hui enveloppe elle-même des pathologies sociales qui ne semblent pas poser de problème à nos spécialistes du soin ou de l’encadrement : fétichisme, sadomasochisme, narcissisme, pulsion de mort, érotomanie, etc.
Un individu qui « craquera » au sein d’un tel ordre normatif, d’une certaine manière, est aussi un individu sensible, réceptif, qui ne tolère plus cette folie sociale banalisée. Ainsi, l’individu psychiatrisé pourrait avoir un discours critique sur la société que ne saurait développer un individu qui n’a pas subi ces violences sociales « normatives » jusqu’à être exclu de l’ordre social. On peut considérer que sa façon de ne pas pouvoir tolérer la folie sociale normalisée a quelque chose de « sain », ou renvoie à une sensibilité qui désigne aussi le souci d’une émancipation plus stricte que la simple « intégration » acritique dans cet ordre.
Les ordres du soin institutionnel, même s’ils prétendent nous « soigner », viseront le plus souvent notre « réinsertion » dans cet ordre malade et malsain qu’est la société du travail, de la consommation, et de la marchandise (ESAT [4], AAH, RQTH [5], etc.). Ils ne nous permettront pas d’exprimer cette singularité relative à notre sensibilité souvent très développée, dont la formulation peut être plus émancipatrice (tant pour nous-mêmes que pour l’ordre social qui nous chosifie) qu’une simple « réintégration ».
Par ailleurs, nous sommes dans une société intrinsèquement validiste : on considère les individus « trop sensibles », ou « non adaptés » à la société de la productivité comme des ressources « non viables » (ou « non exploitables »), comme des individus « différents », à traiter « séparément », ou à « isoler », dans le pire des cas, si la « réinsertion » est un échec. Mais c’est aussi la folie sociale qui crée ces différences : de telles différences sont construites par cet ordre social, elles ne s’imposent pas « objectivement ». C’est l’ordre social inadapté aux différentes sensibilités des humains qui crée à son tour des différences entre « productif » et « improductif », ou « valide » et « non-valide », mais contre cela, il s’agit de réaffirmer la nécessité de dépasser cet ordre morbide, et non de viser simplement la normalisation des individus.

Créer des espaces originaux de libération de la parole

Il s’agirait de mettre en place des espaces de libération de la parole, ouverts aux personnes étant, ou ayant été psychiatrisées, ou subissant plus largement le validisme et la psychophobie (personnes « handicapées »), mais aussi à leurs proches, ou encore à certain.e.s soignant.e.s soucieux.ses de développer de nouvelles formes de sociabilités, espaces dans lesquels les individus pourraient réfléchir ensemble, non seulement sur leurs problématiques individuelles ou familiales, mais aussi sur les causalités sociales qui ont rendu possible leur mise à l’écart, et leur mal-être.
Ces espaces ne se limitent pas aux individus subissant la psychophobie sociale, mais plus largement aux individus assignés à un « handicap », quels qu’iels soient.
Ces espaces de libération de la parole se différencieront de ceux qui sont développés (trop rarement) dans les zones institutionnelles de soin, au sens où nous essayerons de discuter également de l’ordre social et de sa violence qui auront pu être à l’origine des différenciations dont nous souffrons.

Jérome et Benoît

Agenda sur le handicap et l’anti-validisme :

• Lundi 13 novembre à 19h aura lieu une réunion publique sur le handicap et le validisme, au café Le Dôme, 2 Avenue Georges Clemenceau, arrêt de tram Saint-Denis (ligne 3).

• Mercredi 22 novembre le ciné-club Barricade projettera Vol au-dessus d’un nid de coucou, premier film du cycle ’Handicap et validisme’. La projection sera suivie d’un débat. Le Barricade, local associatif autogéré, 14 rue Aristide Ollivier.

• Nous invitons toute personne souhaitant témoigner, ou rejoindre notre collectif, à nous contacter à cette adresse : antivalidisme.mtp@protonmail.com

P.-S.

Si vous souhaitez partager votre expérience du validisme et/ou de la psychophobie, contactez-nous à l’adresse suivante : antivalidisme.mtp@protonmail.com

Notes

[1L’hypothyroïdie est une insuffisance en hormones thyroïdiennes, le plus souvent à cause d’un mauvais fonctionnement de la glande thyroïde. Elle s’accompagne d’une prise de poids et elle se traduit par des variations d’humeur incontrôlables (irritabilité, déprimes, etc.)

[2LGBTI : Lesbiennes, Gays, BiEs, Transgenres et Intersexes

[3Diplôme d’Accès aux Etudes Universitaires. Equivalent du Bac, pour les adultes qui sont sortis du système scolaire.

[4Établissement et service d’aide par le travail

[5Reconnaissance en qualité de travailleur handicapé

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