Où va le vaste mouvement actuel de grèves invisibles ?

Pendant la semaine du lundi 6 mars au vendredi 10 mars 2017 : 632 conflits du travail par jour en moyenne contre 161, 135, 195, 176, 245, 150 et 115 les semaines précédentes. Conjoncture, la lutte dans ce mouvement de grève, la signification des chiffres, ces quelques sujets et d’autres seront traités dans cet article.

C’est un record cette semaine dans une série historiquement très élevée de luttes qui se maintient depuis maintenant 8 semaines. C’est un record par l’amplitude et la durée depuis que nous essayons de mesurer la conflictualité sociale sur les 5 années précédentes.

Note de conjoncture

Ce record est bien sûr dû aux journées des 6, 7, 8 et 9 mars avec la lutte reconductible à Pole Emploi le 6, celles des fonctions publiques hospitalières, territoriales et d’Etat le 7 auxquelles se rajoutent également les salariés d’Edf, d’Air France et les contrôleurs aériens, puis la journée de lutte des femmes le 8 mars alimentée par la mobilisation américaine contre Trump et sa remise en cause de l’égalité hommes-femmes et enfin une nouvelle journée de mobilisation de certains territoriaux le 9 mars. La journée du 7 mars a dépassé les autres avec 2381 sites impactés par la grève que nous avons pu relever dans la presse, en fait beaucoup, beaucoup plus dans la réalité. Car ce qui a marqué cette journée c’est qu’elle a été très suivie mais aussi très dispersée. Ainsi si les confédérations syndicales ont pu recenser une cinquantaine de manifestations départementales, il y en a eu de fait beaucoup plus, non recensées. Ainsi, on avait parfois 3, 4, 5, 6 voire 7 manifestations le même jour au même endroit, du fait d’une part de l’absence de regroupement départemental dans une cinquantaine de départements et en même temps d’une forte participation. Le résultat de cette forte participation – outre les réquisitions à l’hôpital – était qu’elle était dispersée dans des rassemblements éclatés devant l’hôpital, la CAF, le centre EDF, Pôle Emploi, la mairie, les écoles de la même ville.

Ainsi si la participation aux grèves a été importante, leur visibilité l’a été beaucoup moins. Le mouvement n’a pas été invisible, son ampleur n’a pas été niée, mais cette ampleur pourtant importante n’a donc pas donné lieu à la prise de conscience d’une réelle force du fait de sa dispersion ; elle n’a pas été suffisante en tous cas pour se dire de manière évidente qu’il est possible de changer les choses par la rue.

Et cette situation va continuer.

Dès le 14 mars, deux nouvelles journées de mobilisation nationales vont être organisées à EDF et chez les pompiers, puis des hôtesses et stewards du 18 au 20 mars ; le 19 mars sera organisée une manifestation nationale contre le racisme et pour la dignité, contre les violences policières. Le 21 mars, il y aura une journée nationale de grève à la poste. Enfin, toujours le 21 mars, la CGT organise une nouvelle journée de grève nationale interprofessionnelle pour le développement industriel. Il ne faut pas oublier dans ce tableau la mobilisation des retraités le 30 mars, et, plus loin, la CGT SNCF qui appelle à la grève du 14 au 18 avril.

C’est à dire que les luttes vont continuer à un haut niveau mais toujours dispersées, saucissonnées, émiettées, par profession, par sujet, par région...
En pleine campagne présidentielle, cette stabilisation du nombre de conflits à un niveau très élevé fait que l’écart entre la représentation politique de candidats presque tous discrédités et les préoccupations populaires n’a jamais été aussi grand....

Les élections ne fonctionnent donc plus vraiment comme un éteignoir et un détournement des mobilisations sociales vers les urnes mais au contraire comme un miroir de plus en plus révélateur de deux mondes, deux classes que tout oppose. La tentative de mobilisation contre la corruption en est une illustration.
Ces élections présidentielles et législatives pourraient ainsi fonctionner à l’inverse des années précédentes, comme un accélérateur de la contestation sociale, ou plus exactement du glissement de celle-ci vers des objectifs de représentation politique qui lui soient propres.

Le fait qu’un certain nombre de militants syndicalistes autour des Goodyear appelle à manifester le 22 avril, tout à la fois comme une suite aux 7, 14 19 et 21 mars, et en même temps comme une réponse de la rue aux voleurs-candidats aux élections dans le cadre d’un « premier tour social », illustre cette évolution. La multiplication des journées d’action syndicales dispersées en mars est en quelque sorte une réponse à cette pression de l’initiative du 22 avril, pour ne pas laisser la colère sociale exprimer sa force par ce biais, mais au contraire faire que celle-ci se disperse dans le sable.

Cependant, cette multiplication de journées d’action inefficaces peut avoir l’effet inverse, celui de permettre à la mobilisation de continuer, et par ce biais, de faire prendre conscience qu’il lui faudrait converger.

Jusqu’à présent, la perte de capacité des partis à offrir une représentation sociale se traduisait par l’abstention ouvrière.

C’est peut-être en train de changer ; l’action autour des Goodyear pourrait bien bousculer tout cela et faire qu’une partie des classes populaires et de ces militants passe de l’abstention électorale et du dégoût à la participation active dans la rue et à l’espoir.

Ce qui serait un changement considérable.

Les luttes

C’est dans le secteur de la santé, de l’énergie et des territoriaux que l’on compte le plus de conflits pour cette toute dernière semaine, les luttes dans l’éducation nationale ayant plus marqué le début de l’année mais s’estompent un peu ces deux dernières semaines. Mais chose nouvelle, on assiste depuis une petite dizaine de jours à une multiplication de conflits pour les salaires dans le privé. C’est bien sûr l’effet des Nao, mais pas seulement, car ces conflits ont une durée certaine et pas que symbolique.

Il est encore trop tôt pour dire si les luttes longues et victorieuses sur les salaires de ces derniers temps comme dans le secteur des Grands Hôtels, des cliniques privées ou du nettoyage sont en train de s’étendre à des secteurs plus larges dans l’énergie (ce qui est le cas pour EDF), le transport, la métallurgie, la chimie... On verra ; mais si c’était le cas, ce serait aussi un changement important, car on passerait de luttes dans des secteurs aux salaires très bas, ce qui au fond n’était que du rattrapage et des secteurs aux salaires plus élevés, ce qui traduirait que les salariés lassés de l’étalage des bénéfices et dividendes énormes et en même temps du blocage des salaires, veulent un autre partage des richesses. Ce serait un changement d’état d’esprit qui pourrait rejoindre alors celui que nous notions plus haut de ras-le-bol qui devient général mais aussi de reprise d’un espoir de transformation sociale.

Signification et utilisation des chiffres

Pour revenir aux chiffres, et si l’on prend le chiffre de 632 conflits par jour de cette dernière semaine pour en faire une moyenne annuelle sur environ 260 jours ouvrables (pour des semaines de 5 jours), on arrive à un total d’environ 164 320 luttes.

Ce qui est déjà important.

Mais dans une étude, le CNRS estimait qu’entre seulement 20 et 50% des grèves étaient publiées par la presse. Si l’on prend cette estimation, on arrive donc à un total projeté sur l’année avec le même mode de calcul de 1 264 à 3 160 conflits par jour et de 328 640 à 821 600 conflits par an.

Ce qui est considérable.

Bien évidemment, ce calcul est très approximatif et n’a rien de scientifique. Il permet cependant de donner un ordre d’idée de l’importance actuelle de la conflictualité sociale en France et de ces évolutions. Et cela nous met très loin de ce qu’a publié en ce début d’année le Figaro - et derrière lui, toute la presse - qui recense seulement 800 grèves au total pour toute l’année 2016. Ce chiffre du Figaro comme les statistiques du ministère du travail qui vont dans le même sens, n’ont qu’une valeur de propagande pour tenter de démontrer que les gens ne se battent pas et qu’il ne sert à rien de le faire ; il alimente donc tout ce que disent en général les grands médias comme les hommes politiques.

Les chiffres que nous donnons ont la signification exactement inverse : les gens se battent, résistent en nombre, sont très nombreux à ne pas se laisser faire, ne baissent pas les bras et, bien souvent, gagnent.

Ces chiffres ne sont encore une fois que des approximations très imprécises. Cependant, ils sont certainement bien plus proches de la réalité que ceux donnés non seulement par les grands médias mais aussi ceux donnés par le ministère du travail. Celui-ci, rappelons-le, fonde ses statistiques sur les déclarations de grèves des patrons eux-mêmes (en oubliant au passage la fonction publique). Ce qui est aussi peu fiable que de demander à un dictateur de quantifier la torture dans son pays.

On peut très légitimement penser qu’il y a en fait beaucoup plus de luttes que ce que nous mesurons ici. En effet, d’une part, notre recensement ne se fait pas sur la totalité de la presse quotidienne mais seulement sur les grands quotidiens régionaux en ligne, et d’autre part, nous ne recensons pas les multiples actions invisibles de résistance à l’exploitation quotidienne des salariés, personnelles et collectives ; débrayages, grèves du zèle, boycotts, délégations, réunions voire même une partie des maladies qui sont aussi un moyen de se défendre pour certains.

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Liste des grèves de la semaine du 6 mars 2017

Lu sur le site d’infos Indymedia Nantes

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