Récit plus ou moins objectif d’une interpellation policière ratée, le 31 mars à Montpellier

Le désir de partager ce bref témoignage fait suite à l’ensemble des exactions impunies et non justifiées perpétrées par les forces de police dans la répression des mouvements opposés à la loi El Khomri, mais aussi à la non médiatisation de ce qu’il se passe sur la ville de Montpellier en ces moments où l’énergie hésite entre confort, paresse, fête, partiels, et volupté. Il peut s’inscrire également dans une logique visant à comprendre les tensions qui opposent manifestants et forces de l’ordre, hier, aujourd’hui et …

Ce jeudi 31 mars 2016, comme environs un million de personnes en France, j’ai donné un peu de mon énergie au mouvement social et populaire qui s’oppose à la loi travail.
Je ne vais pas détailler la totalité de la manifestation de Montpellier, car n’étant pas présent en tous les lieux, je n’en pourrai faire un compte-rendu exhaustif. Je partage seulement une description de faits, et mon ressenti vis-à-vis de ceux-ci : la tentative d’arrestation d’un des manifestants par la BAC, et sa récupération sine qua non par des individus solidaires lors du passage du cortège au niveau de la préfecture, qui (ça n’en fait aucun doute) ne le connaissaient pas.

Après avoir laissé derrière nous, sur la place de la comédie, la sempiternelle et mortifère fin de manif’ de la CGT, nous (le cortège étudiants, AG de ville, et organisations syndicales non rassasiées d’une heure de tour de rond point) commençons à avancer dans la rue de la Loge, en direction du Parc du Peyrou. C’est l’occasion – rangs serrés – de voir quelques capuches et écharpes s’installer, tandis que quelques bombes de peintures sont jetées sur des vitrines de boutiques luxueuses, dans un sursaut léger de pétards et de fumigènes animés (à l’échelle de Montpellier, lol). C’est l’heure aussi d’ouvrir une bière au cœur de cette ambiance qui, pour une ville comme Montpellier (où les cortèges plan-plan ont droit de cité) fait quoi qu’on puisse dire plaisir à voir.
Quelques slogans anticapitalistes sont scandés, et une sorte de subversion légère envahit très vite le défilé, les âmes, et les corps – qui n’attendaient que ça ? – sous forme olfactive, visuelle, auditive, interactionnelle, gustative, verbale, et cutanée.

... tandis que quelques bombes de peintures sont jetées sur des vitrines de boutiques luxueuses, dans un sursaut léger de pétards et de fumigènes animés...

Alors que la traversée de la place de la Préfecture a l’air de se faire sans encombre, et que la banderole de tête est déjà passée de 100 mètres, j’aperçois, à l’entrée de la rue Cambacérès (direction rue de l’Université), une rangée de clown estampillés « medef », cigare aux lèvres, qui fait écran (privilège de l’humour) avec l’unité de CRS, casques déjà vissés et bouclier brandis (pardi), s’opposant à un éventuel passage du cortège devant le rectorat : le Clownistan, invité d’honneur à Montpellier ?
Je décide à ce moment d’apprécier quelques minutes la situation et la performance théâtrale des nez-rouges et des casques-bleus, en faisant une pause, debout, à l’angle rue Foch/rue Cambacérès. La mollesse et l’atonie des manifestations montpelliéraines sera t-elle de rigueur ? Peut-être pas. Cela va ensuite très vite.

Une – ou deux, ou trois – bouteilles de verre sont jetées du cortège vers les CRS : que font-ils à cet endroit-ci, en ce moment-là alors que jusqu’ici, la « sécurité publique » ne souffre d’aucun mal ? Mesure préventive contre des actes terroristes ? J’ai du mal à le croire... Me tournant en direction de l’origine des tirs contondants, j’aperçois la BAC – coïncidence ? – partir en courant (au niveau du tabac), le long du cortège – je les suis au même rythme – et interpeller avec leur méthode habituelle (clés de bras, béquilles, strangulations...) un individu qui m’a tout l’air d’être un lycéen. Alors que j’arrive à leur niveau, et n’ayant pas l’impression que la manœuvre ait été (a)perçue parmi la foule, je hurle « Crie ton nom ! Qui es tu !? C’est quoi ton nom !? », (en vue d’un soutien ultérieur ?) sans réponse de l’intéressé : celui-ci a l’air visiblement sonné. Je traverse en courant, à sens inverse, le cortège, pour aller me poster face à eux (la BAC doit alors retraverser le défilé pour pouvoir amener le lycéen interpellé derrière la ligne CRS). N’étant pas préparé, je n’ai pu participer à sa récupération.

Au moment où les chasseurs et leur proie traversent le cortège, une sorte d’étau se referme : quelques personnes de la manifestation saisissent avec conviction l’interpellé pour le récupérer (j’aperçois vaguement un brassard syndical, si si, je vous assure !), tandis que le personnel de la BAC, dans un mouvement un peu flou pour reprendre le dessus, tente de se dépatouiller entre tirer-les-bras, mettre-un-coup, garder-la-face, faire-la-loi, sans libérer leur prise. Dans le même temps, en vue de la situation, plusieurs personnes, masquées pour leur sécurité, arment les drapeaux qu’ils tenaient dans leur mains et assènent plusieurs coups perspicaces sur la tête des baqueux. Ces derniers lâchent prise en réalisant soudainement (se frottant le crane sous l’effet de la surprise et de la douleur ?) que leurs faits et gestes, jusqu’ici libres à Montpellier, peuvent peut-être être mis en doute par des liens féroces qui peuvent sortir des tripes de tout un chacun.

Il s’en suit un léger retrait-regroupement de leur part, et tandis qu’ils forment un petit îlot juste au bord du défilé, se protégeant judicieusement les uns les autres, plusieurs personnes des alentours leur crie de rentrer chez eux, et de laisser le défilé tranquille : « cassez-vous ! », « dégagez ! », « rentrez chez vous ! »
Ces mêmes forces de l’ordre – qui ont suivi la suite du défilé à bonne distance – interpelleront quelques heures plus tard (sûrement grâce à leur zèle, et à la vidéosurveillance) quatre individus, alors que le défilé est déjà terminé et que l’assemblée générale qui s’en est suivie tente d’installer une zone d’occupation sur la place de la Comédie, qui perdurera, malgré le sous-nombre de motivé(e)s, au moins jusqu’à l’aube.

Et Max Weber, lorsqu’il est en colère, de faire état du « monopole de la violence légitime ».
K. W.

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